Azteca
amarrâmes à Tenochtitlân.
Au début, rien ne me parut extraordinaire : je connaissais si bien
le lac aux eaux rouges. Puis, comme nous traversions le détroit sud, la terre
se referma des deux côtés et les eaux prirent une teinte grisâtre en arrivant
sur le grand lac Texcoco. Il s’étendait si loin à l’est et au sud, que la
terre, au loin, ne semblait qu’une tache noire et dentelée.
Nous fîmes route vers le sud, mais Tonatiuh, le soleil, commençait à
refermer sur lui les plis de son scintillant manteau de nuit, au moment où les
hommes se mirent à ramer à rebours pour arrêter le bateau devant la Grande
Digue. Cette barrière est une double palissade de troncs d’arbres enfoncée dans
le lac et l’espace entre les deux rangées de poteaux est comblé avec de la
terre et des pierres. Son rôle est d’empêcher les vagues, soulevées par le vent
d’est, de venir inonder la ville bâtie sur une île basse. Par endroits, on a
pratiqué des portes dans la digue et les employés les laissent ouvertes presque
par tous les temps. Mais la circulation sur le lac, en direction de la
capitale, est considérable, aussi il fallut attendre notre tour pour pouvoir
passer.
A ce moment, Tonatiuh tira sur sa couche les draps sombres de la nuit
et le ciel devint pourpre. A l’ouest, les montagnes qui nous faisaient face,
semblèrent soudain aussi nettes et proches que si elles avaient été découpées
dans du papier noir. Au-dessus, il y eut un timide papillotement, puis une vive
lumière : Omexo-chitl nous assurait qu’arrivait une nouvelle nuit, mais
non la dernière.
« Ouvre bien tes yeux, maintenant, Mixtli, mon fils », me
cria mon père, de l’endroit où il se trouvait.
Comme si l’apparition d’Après la Floraison avait été un signal, une
seconde lumière apparut, mais bien au-dessous de la ligne déchiquetée des
montagnes noires, puis, encore une autre et des vingtaines d’autres. C’est
ainsi que je vis Tenochtitlân pour la première fois ; non pas comme une
cité remplie de tours de pierre, de riches boiseries et de peintures
éclatantes, mais comme une ville de lumière. Au fur et à mesure qu’on allumait
les lanternes, les torches et les chandelles – dans l’embrasure des fenêtres,
dans les rues, le long des canaux, sur les terrasses, les corniches et les
toits des bâtiments – les petits points de lumière distincts s’agglutinaient,
puis formaient des rubans de lumière, qui, à leur tour, dessinaient les
contours de la ville.
De loin, on ne voyait pas les contours sombres des constructions, mais
les lumières, Ayyo , les lumières ! Jaunes, blanches, rouges,
jacinthe, toutes les nuances de la flamme et çà et là, une bleue ou une verte
lorsque le feu sacré d’un temple était aspergé de sel ou de limaille de cuivre.
De plus, chacune de ces perles, de ces grappes éclatantes, de ces rubans de
lumière brillait une deuxième fois en se réfléchissant dans le lac. Même les
digues empierrées qui reliaient l’île à la terre ferme étaient éclairées par
des lanternes accrochées, tout le long, à des poteaux. De notre acali, je ne
pouvais voir que les deux digues quittant la ville par le nord et par le sud.
On aurait dit une mince chaîne de pierres précieuses posée sur la gorge de la
nuit, un magnifique collier de diamant sur son sein, que la ville lui avait
offert.
« Tenochtitlân, Cem-Anahuac Tlali Yoloco, murmura mon père. C’est
bien le centre et le cœur du Monde Unique. » J’étais tellement saisi
d’émerveillement que je n’avais pas remarqué qu’il m’avait rejoint à l’avant de
la péniche. « Regarde bien, mon fils, tu verras peut-être souvent cette
merveille, mais il n’y aura jamais qu’une seule première fois. »
Sans ciller, ni détourner mon regard de ce prodige que nous approchions
bien trop lentement, je m’étais couché sur un tapis de fibre et je regardais de
tous mes yeux, jusqu’à ce que mes paupières, à ma grande honte, se fermassent
d’elles-mêmes, et je m’endormis. Je n’ai aucun souvenir du bruit, de
l’agitation et du remue-ménage qui durent se produire à notre arrivée, ni que
mon père m’ait transporté dans une auberge voisine où nous passâmes la nuit.
Je me réveillai sur une paillasse posée sur le sol d’une pièce où
ronflaient mon père et quelques autres personnes. Réalisant que nous étions
dans une auberge, et où était cette auberge, je bondis pour aller regarder par
la
Weitere Kostenlose Bücher
Eis und Dampf: Eine Steampunk-Anthologie (German Edition) Online Lesen
von
Mike Krzywik-Groß
,
Torsten Exter
,
Stefan Holzhauer
,
Henning Mützlitz
,
Christian Lange
,
Stefan Schweikert
,
Judith C. Vogt
,
André Wiesler
,
Ann-Kathrin Karschnick
,
Eevie Demirtel
,
Marcus Rauchfuß
,
Christian Vogt