Azteca
large canal enjambé par
plusieurs ponts. Pendant des années, Tlatelolco avait été une ville
indépendante avec son propre chef et elle avait imprudemment essayé de
soustraire à Tenochtitlân son rôle de chef de file des Mexica. Pendant
longtemps, nos Orateurs Vénérés supportèrent, bon gré mal gré, les ambitions de
grandeur de Tlatelolco, mais le jour où Moquihuic, le chef de la ville, commit
l’effronterie de bâtir un temple plus haut que tous ceux des quatre
« quartiers » de Tenochtitlân, le Uey tlatoani Axayacatl fut
contrarié, à juste titre. Il donna à ses sorciers l’ordre de tourmenter cet
insupportable voisin.
Si ce qu’on raconte est vrai, il paraîtrait qu’une tête gravée sur une
pierre, sur un mur de la salle du trône de Moquihuic, se mit soudain à parler
et la remarque était si insultante pour sa virilité que Moquihuic se saisit
d’une hache de guerre et pulvérisa la sculpture. Puis, alors qu’il était couché
avec sa Première Dame, les lèvres du tipili de celle-ci se mirent à mettre en
doute, elles aussi, cette virilité. Outre que ces événements rendirent Moquihuic
impuissant même avec ses concubines, il en fut considérablement effrayé. Malgré
tout, il ne voulut pas se soumettre à l’Orateur Vénéré. Aussi, au début de
l’année de la fête de mon nom, Axayacatl s’empara par les armes de Moquihuic.
Axayacatl en personne jeta Moquihuic du haut de son orgueilleuse pyramide, lui
fracassant ainsi la cervelle. Par conséquent, quelques mois plus tard, lorsque
mon père et moi nous rendîmes à Tlatelolco, cette ville n’était plus que le
cinquième « quartier » de Tenochtitlân, l’endroit du marché, bien
qu’elle fût encore couverte de temples, de palais et de pyramides.
Cet immense marché en plein air me parut aussi grand que l’île de
Xaltocán tout entière, mais bien plus riche, bien plus peuplé et bien plus
bruyant. Des allées divisaient la surface en carrés où les vendeurs étalaient
leur marchandise sur des bancs ou sur des tapis. Chaque carré ou parcelle était
alloué à différentes sortes de produits. Il y avait le coin des orfèvres et des
argentiers, celui des plumassiers, celui des marchands de légumes et de
condiments, de viande et d’animaux vivants, de tissus et de cuirs, d’esclaves
et de chiens, de poteries et de cuivres, de médicaments et de cosmétiques, de
corde, de ficelle et de fil, d’oiseaux et de singes enroués et autres animaux
de compagnie. Ah ! c’est vrai qu’on a réinstallé ce marché et que vous
devez le connaître. Bien qu’il fût tôt, l’endroit grouillait déjà d’acheteurs.
La plupart étaient macehualli, comme nous, mais il y avait aussi des seigneurs
et des dames qui désignaient impérieusement ce qu’ils voulaient et laissaient à
leurs serviteurs le soin de marchander.
Nous eûmes de la chance d’arriver de bonne heure, car, sur un étal,
était vendue une denrée si périssable qu’elle aurait disparu avant midi, la
gourmandise la plus indéniable de tout ce qui était à vendre là. C’était de la
neige. Elle venait du sommet de Ixtaccîhuatl, à dix longues courses de là,
amenée par de rapides coursiers se relayant dans la fraîcheur de la nuit, et le
marchand la conservait dans d’épaisses jarres recouvertes d’une quantité de
nattes de fibre. La portion coûtait vingt grains de cacao, c’est-à-dire la paie
d’une journée entière d’un travailleur moyen de la nation Mexica. Pour cent
grains, on pouvait avoir un esclave assez solide et vigoureux, aussi la neige
était-elle plus chère au poids que n’importe quelle autre marchandise du marché
de Tlatelolco, même les plus coûteux bijoux des étals des orfèvres. En dehors
des nobles, peu de gens pouvaient s’offrir cet onéreux rafraîchissement. Pourtant
le vendeur de glace nous dit qu’il arrivait à vendre tout son stock du matin
avant qu’il ne fonde.
Mon père grommela. « Je me souviens des Temps Difficiles, l’année
de Tochtli, Un Lapin. Il neigea pendant six jours sans arrêt. La neige n’était
pas seulement gratuite, c’était une calamité. » Mais il se calma et dit au
vendeur qui ne s’en souciait guère, « Bon, puisque c’est la fête du
garçon…»
Il fit glisser le sac qu’il avait en bandoulière et compta vingt grains
de cacao. Le marchand les examina un par un pour voir si ce n’étaient pas des
contrefaçons en bois, ou des haricots creux et alourdis avec des
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