Azteca
sont des rebelles notoires et inaptes au travail. Ces insoumis
opiniâtres, après être passés de maître en maître, ont la figure couverte
d’initiales superposées et leur peau ressemble à un manuscrit palimpseste.
Votre Compatissante Majesté montre également des preuves évidentes de
son bon cœur dans cette même lettre, quand elle dit de notre Aztèque, à propos
de la mort de sa femme : « Bien qu’étant d’une race inférieure, il
semble être un homme capable de sentiments humains et il ressent les malheurs
et les blessures avec autant d’intensité que nous. » Cette sympathie est
bien compréhensible, car l’amour immuable de Votre Majesté pour la jeune reine
Isabelle et pour son fils Philippe est bien connu et admiré par tout le monde.
Cependant, nous suggérons respectueusement à Votre Majesté de ne pas
trop prendre en pitié des gens qu’elle ne connaît pas aussi bien que nous et,
en particulier, cet homme qui s’en montre bien indigne. Il a pu parfois
ressentir des chagrins occasionnels ou concevoir des pensées humaines qui ne
discréditeraient pas un Blanc. Mais Votre Majesté a certainement remarqué que
tout en prétendant qu’il était devenu Chrétien, ce vieux fou ne cesse de
divaguer quand il parle des errances terrestres de sa défunte compagne, et
pourquoi ? Parce qu’elle n’avait pas sur elle un certain caillou vert
quand elle est morte. De plus, comme votre Majesté va pouvoir s’en rendre
compte, l’Aztèque n’a pas été bien longtemps affligé par cette perte et, dans
les pages suivantes, elle le verra à nouveau faire des siennes et se conduire
comme par le passé.
Sire, il n’y a pas bien longtemps, nous avons entendu un prêtre plus
sage que nous dire qu’on ne doit jamais louer sans réserve un homme qui vit
encore et navigue sur les eaux tumultueuses de l’existence, car ni lui, ni
personne, ne peut savoir s’il échappera aux tempêtes, aux récifs et au chant
des Sirènes pour arriver à bon port. On ne peut glorifier que celui qui a
terminé ses jours et que Dieu a guidé vers le port du Salut, car on ne chante
le Gloria qu’à la fin.
Que ce Dieu qui nous guide continue à prodiguer ses bienfaits sur notre
Impériale Majesté à laquelle son chapelain et serviteur baise les pieds,
( ecce signum ) Zumarraga
OCTAVA PARS
Mon drame personnel avait fait passer le reste du monde au second plan,
mais je n’étais pas sans savoir que la nation mexica tout entière connaissait
une tragédie. La requête désespérée et inattendue qu’avait adressée Ahuizotl à
Nezahualpilli en lui demandant son aide pour venir à bout des eaux, fut son
dernier acte en tant qu’Orateur Vénéré. Il se trouvait à l’intérieur de son
palais quand celui-ci s’effondra, mais il ne fut pas tué, bien qu’il eût sans
doute préféré l’être. Une poutre lui était tombée sur la tête et, à ce qu’on
m’a dit, car je ne l’ai jamais revu vivant à partir de ce jour, il n’eut pas
plus de jugement que le morceau de bois qui l’avait assommé.
La coutume s’opposait à ce qu’Ahuizotl fût déchu de son titre d’Orateur
Vénéré tant qu’il était en vie, même s’il radotait et si on ne pouvait avoir
plus de respect pour sa personne que pour un légume ambulant. Aussi, dès que ce
fut possible, le Conseil décida de choisir un régent pour gouverner à sa place.
C’est sans nul doute pour se venger, de ce qu’Ahuizotl avait fait périr deux
d’entre eux au moment de la catastrophe de la digue, que ces vieillards
refusèrent de prendre en considération la candidature la plus évidente, celle
de son fils aîné, Cuauhtemoc. Ils désignèrent comme régent son neveu Motecuzoma
le Jeune, car, dirent-ils : « Motecuzoma Xocoyotzin a fait la preuve
de ses capacités comme prêtre, comme chef militaire et comme gouverneur de
régions éloignées. »
Je me souvenais des paroles tonnées un jour par Ahuizotl :
« Jamais, nous ne mettrons sur le trône un tambour creux ! » Et
je pensais qu’il valait mieux pour lui avoir perdu la raison et ne pas voir
cette chose se produire. S’il avait été tué et qu’il soit mort avec toute sa
tête, il serait remonté du plus profond de Mictlán pour asseoir son cadavre sur
le trône à la place de Motecuzoma.
Mais en ce temps-là, je ne m’intéressais pas aux intrigues de la cour.
Ma maison était remplie de souvenirs pénibles que je souhaitais fuir. La vue de
ma propre fille me faisait
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