Azteca
m’apprendre qu’il se
propose de lancer une attaque contre Texcala et cela ne me surprend pas ;
mais ce qu’il ne m’a pas dit, et que j’ai su par ailleurs, c’est qu’il a tenté
de contraindre Nezahualpilli à mener l’assaut et à former le gros des troupes
avec des Acolhua. Nezahualpilli a fermement décliné cet honneur et j’en suis
heureux, après tout, il n’est plus tout jeune. J’ai l’impression que Motecuzoma
voudrait faire ce qu’a jadis fait Ahuizotl : décimer les Acolhua et
provoquer, pourquoi pas, la mort de leur chef au combat.
— Et peut-être pour la même raison, me fit remarquer Cozcatl.
— Ai-je bien compris ce que tu veux dire ? » Cozcatl
hocha la tête.
« La petite épouse de Nezahualpilli dont on ne prononce plus
jamais le nom. C’était la fille d’Ahuizotl et la cousine de Motecuzoma… et
peut-être autre chose que sa cousine. En tout cas, c’est tout de suite après
son exécution que Motecuzoma a endossé l’habit noir des prêtres.
— C’est une coïncidence qui donne à réfléchir, mais il a quitté la
prêtrise depuis longtemps, il a deux femmes légitimes et il en prendra
certainement d’autres. Espérons qu’il abandonnera son ressentiment envers
Nezahualpilli et espérons surtout qu’il ne saura jamais quel rôle nous avons
joué dans la vie de sa cousine.
— Ne vous faites pas de souci, me répondit Cozcatl d’un ton
enjoué. Nezahualpilli a toujours fait silence sur notre participation dans
cette affaire. Ahuizotl n’a jamais fait le rapprochement et Motecuzoma non
plus, sinon il ne m’aurait pas donné sa clientèle.
— Tu as sûrement raison, fis-je, soulagé, et j’ajoutai en
riant :
« Tu semblés imperméable au souci comme à la douleur. » Je
lui montrai son poquietl. « Ça ne te fait pas mal ? »
Il ne paraissait pas s’être aperçu qu’il avait baissé la main qui
tenait le poquietl, si bien que la braise touchait son autre bras. Quand je lui
fis remarquer, il releva brusquement le poquietl et regarda d’un air maussade
la marque rouge que la brûlure avait laissé sur la peau.
« Quand je suis préoccupé par un problème, marmonna-t-il, je ne
fais pas attention à ces petites choses.
— Des petites choses ! m’écriai-je. C’est plus douloureux
qu’une piqûre de guêpe ; je vais dire à Turquoise qu’elle t’apporte de la
pommade.
— Non, non, ce n’est pas la peine. Je ne sens presque rien »,
me dit-il en se levant pour prendre congé. Sur le pas de la porte, il croisa
Béu qui rentrait d’une course et la salua affectueusement, comme à
l’accoutumée, mais le sourire de Béu me parut un peu forcé. Quand il fut parti,
elle me dit :
« J’ai rencontré sa femme dans la rue et nous avons bavardé un
moment. Je suis certaine qu’elle sait que je suis au courant de la blessure de
son mari et de la façon dont leur mariage est arrangé. Pourtant elle rayonnait
de bonheur et elle me regardait avec un air de défi, comme si elle voulait que
je lui fasse une remarque.
— Une remarque sur quoi ? demandai-je, un peu endormi par
l’octli.
— A propos de son état. Il est évident qu’elle est enceinte.
— Tu dois te tromper, tu sais bien que c’est impossible.
— Impossible, impossible, répliqua-t-elle avec un air impatienté,
je suis sûre de ce que j’avance. Même une vieille fille comme moi peut le voir
et son mari ne tardera pas à le découvrir. Et alors, que va-t-il se
passer ? »
C’était une question sans réponse et Béu partit sans l’attendre, me
laissant à mes réflexions. Quand Quequelmiqui était venue me demander ce que
son mari était dans l’incapacité de lui donner, j’aurais dû me douter qu’elle
souhaitait aussi quelque chose de plus durable. C’était un enfant qu’elle
voulait – une Cocôton bien à elle – et quel meilleur père pourrait-elle trouver
que celui de sa petite bien-aimée ? J’étais sûr, maintenant, que
Quequelmiqui était venue me voir après avoir mangé de la viande de renard, de
l’herbe cihuapatli ou une autre substance supposée assurer la fécondité.
J’avais bien failli succomber à ses cajoleries. Seule l’arrivée inattendue de
Béu m’avait fourni un prétexte pour refuser. Je n’étais pas le père et Cozcatl
non plus. Pourtant il en avait bien fallu un. Elle m’avait prévenu de sa
résolution. Quand je l’ai renvoyée, pensais-je, elle avait encore toute la
journée devant
Weitere Kostenlose Bücher