Azteca
« Très grand Seigneur ». Ne vous relevez pas avant
qu’il vous le dise et n’approchez pas plus près que la troisième marque.
— C’est incroyable ! »
Sans me regarder, le valet poursuivit :
« Vous ne devrez lui adresser la parole que lorsqu’il vous posera
une question précise. N’élevez jamais la voix ; murmurez seulement.
L’entrevue prendra fin quand l’Orateur Vénéré vous le signifiera. Alors, faites
le tlalqualiztli à l’endroit où vous vous trouvez et sortez à reculons…
— Il est fou !
— Sortez à reculons, toujours respectueusement tourné vers lui et
inclinez-vous pour embrasser la terre à chaque marque de craie, jusqu’à ce que
vous ayez franchi la porte. Alors, vous pourrez reprendre votre uniforme et
votre rang.
— Et ma dignité, ajoutai-je d’un ton sarcastique.
— Ayya , je vous en conjure, Seigneur, me dit le laquais
terrorisé, surtout, ne vous risquez pas à ce genre de plaisanterie en sa
présence. Ce n’est pas à reculons que vous sortiriez, mais en morceaux. »
J’approchai donc du trône de cette façon humiliante. Motecuzoma me
laissa ployé pendant un bon moment avant de condescendre à me dire d’une voix
traînante :
« Tu peux te relever, Chevalier-Aigle Chicome-Xochitl
Tlilectic-Mixtli. »
Au garde-à-vous derrière son trône, se tenaient les plus anciens
membres du Conseil mais je distinguai deux ou trois nouvelles têtes et parmi
elles, le Femme-Serpent, Tlacotzin. Ils étaient tous nu-pieds et au lieu de
l’habituel manteau jaune, portaient comme moi une toile de sac, ce qui semblait
les rendre fort malheureux. L’Orateur Vénéré était assis sur une modeste chaise
basse, mais l’élégance de sa tenue – surtout comparée à la nôtre – chassait
toute prétention à la modestie. Il avait sur les genoux une quantité de papiers
dépliés qui retombaient jusqu’à terre. Il fit mine de consulter plusieurs
documents avant de me déclarer :
« Il paraît que mon oncle Ahuizotl avait dans l’idée de t’élever
au Conseil. Ce n’est pas dans mes intentions.
— Merci, Seigneur Orateur, lui répondis-je très sincèrement. Je
n’ai jamais aspiré…»
Il m’interrompit d’une voix cinglante :
« Tu parleras quand je te poserai une question.
— Bien, Seigneur.
— Inutile de répondre. Tu n’as pas à exprimer ton
obéissance ; elle coule de source. »
Il se replongea dans ses papiers et je restai devant lui à me taire,
écumant de rage. Jadis, je trouvais qu’Ahuizotl était ridiculement suffisant en
disant toujours « nous » pour parler de lui-même. Il me semblait
maintenant qu’il était simple et chaleureux, comparé à son glacial et hautain
neveu.
« Tes cartes et tes récits de voyage sont très intéressants,
Chevalier Mixtli. Celles de Texcala vont bientôt nous servir, car je projette
une nouvelle guerre qui mettra un terme pour toujours aux provocations de ces
Texcalteca. J’ai également sous les yeux tes cartes des routes de commerce du
sud, jusqu’au pays maya. Elles sont toutes merveilleusement détaillées. C’est
du bon travail. » Il se tut et me lança un regard froid. « Tu
pourrais dire merci quand l’Orateur Vénéré te fait des compliments.
— Merci, dis-je sur un ton soumis.
— J’ai appris que depuis que tu as remis ces cartes à mon oncle,
tu avais fait d’autres voyages. » Il attendit et comme je ne répondais
rien, il hurla : « Parle !
— Mon Seigneur ne m’a posé aucune question. » Il sourit
calmement et articula :
« Pendant tes derniers voyages, as-tu fait d’autres cartes ?
— Oui, Seigneur Orateur. Sur place ou dès mon retour chez moi,
quand mes souvenirs étaient encore tout frais.
— Tu les apporteras au palais. J’en aurai besoin si je décide de
faire d’autres guerres. »
Je ne répondis rien puisque mon obéissance était un fait acquis. Il
poursuivit :
« On m’a dit aussi que tu parlais très bien plusieurs
langues. » Il se tut et je lui dis :
« Merci, Seigneur Orateur.
— Ce n’était pas un compliment, ricana-t-il.
— Vous avez dit que je parlais très bien, Seigneur. »
Les
membres du Conseil roulaient des yeux effarés. « Arrête tes
insolences ! Quelles langues parles-tu ?
— Je parle à la fois le nahuatl classique et la forme plus
courante de Tenochtitlán, de même que le nahuatl plus raffiné de Texcoco et
aussi d’autres dialectes de pays étrangers comme
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