Azteca
Texcala. »
Motecuzoma tambourinait impatiemment sur ses genoux avec ses doigts.
« Je parle couramment le lôochi des Zapoteca, mais pas aussi bien
le poré du Michoacán. Je me fais comprendre dans la langue des Mixteca, dans
plusieurs idiomes olmeca, en maya et dans les dialectes dérivés. J’ai quelques
notions d’otomi et…
— Suffit ! coupa Motecuzoma. Tu auras peut-être l’occasion de
pratiquer tes talents le jour où je déclarerai la guerre à l’un de ces pays.
Pour l’instant, tes cartes me suffiront. Dépêche-toi de me les apporter. »
Je me taisais. Je voyais que les vieillards me faisaient des signes
impératifs, mais je ne comprenais pas pourquoi, quand Motecuzoma me cria
presque :
« Retire-toi, Chevalier Mixtli ! »
Je sortis à reculons comme on me l’avait prescrit et tout en enlevant
mon habit de suppliant, je dis au valet :
« Cet homme est fou, mais est-il un tlahuele ou un simple
xolopitli ? »
Le nahuatl possède deux mots pour désigner un fou : xolopitli
indique une personne dérangée, mais inoffensive et tlahuele, un dangereux
maniaque. Mes paroles firent sursauter le domestique.
« Je vous en prie, Seigneur, parlez moins haut. Je reconnais qu’il
est un peu spécial. Savez-vous, par exemple, qu’il ne prend qu’un seul repas
par jour, le soir, mais qu’il donne l’ordre de préparer des vingtaines et même
des centaines de mets différents pour pouvoir disposer immédiatement de celui
qui lui fait envie.
Souvent il ne mange que d’une seule chose et goûte du bout des lèvres à
deux ou trois autres préparations.
— Et on jette le reste ?
— Oh non, il invite ses nobles favoris qui viennent par centaines,
abandonnant leur propre table et c’est eux qui mangent ce que l’Orateur Vénéré
refuse.
— C’est curieux, murmurai-je. Je ne pensais pas qu’il aimait tant
la compagnie.
— En réalité, il ne l’aime pas. Les Seigneurs dînent dans la même
salle à manger, mais ils n’ont pas le droit de parler et ils n’aperçoivent même
pas l’Orateur Vénéré. Un grand paravent cache le coin où il est installé, à
l’abri des regards. Les invités ne peuvent même pas savoir s’il est réellement
là sauf quand, de temps en temps, il leur fait passer un mets qu’il a
particulièrement apprécié et auquel tout le monde doit goûter.
— Alors, c’est qu’il n’est pas fou. Souviens-toi que le bruit a
couru que le Uey tlatoani Tizoc était mort empoisonné. Tout cela peut paraître
extravagant, mais ce n’est peut-être qu’une façon habile de s’assurer qu’il ne
finira pas comme lui. »
Bien avant de l’avoir rencontré, j’avais conçu une aversion extrême à
l’égard de Motecuzoma. En quittant le palais, ce jour-là, s’y ajoutait un vague
sentiment de pitié. Oui, de pitié. La supériorité d’un chef doit s’imposer
d’elle-même à ses sujets ; ils doivent baiser la terre devant lui non pas
parce qu’il l’exige, mais parce qu’il le mérite. Tout ce protocole et cet
appareil dont Motecuzoma s’entourait me semblaient moins impressionnants que
prétentieux et même pathétiques. Tout comme la surabondance de sa parure,
c’était un simulacre de grandeur imposé par un homme qui doutait de lui-même.
Ce soir-là, quand je rentrai chez moi, je trouvai Cozcatl qui
m’attendait pour me donner les dernières nouvelles de son école. Tandis que je
passais des vêtements plus commodes, il m’annonça en se frottant les mains de
satisfaction :
« L’Orateur Vénéré m’a chargé de prendre en main la formation de
tous les serviteurs et les esclaves du palais, depuis les intendants
supérieurs, jusqu’aux garçons de cuisine. »
Je dis à Turquoise de nous apporter une cruche d’octli bien frais pour
fêter l’événement et Chanteur Etoile accourut pour nous allumer un poquietl.
« Je reviens du palais, dis-je à Cozcatl, et j’ai eu l’impression
que les domestiques étaient déjà très bien dressés, de même que les membres du
Conseil et toutes les personnes en relation avec la cour.
— Oui, les domestiques font un très bon service, me répondit-il en
exhalant un rond de fumée. Mais Motecuzoma les veut aussi stylés que le
personnel de la cour de Nezahualpilli.
— Il semblerait que notre Orateur Vénéré ressente de la jalousie
pour autre chose que les bonnes manières des serviteurs de la cour de Texcoco. Je
pourrais même dire de l’animosité. Motecuzoma vient de
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