Azteca
« l’Orateur Vénéré aura peut-être
du mal à me croire, mais si un yeyemichi venait mettre sa tête contre la
fenêtre qui est là, sa queue irait battre contre les ruines du palais du
regretté Orateur Ahuizotl, de l’autre côté de la place.
— Vraiment ! » Motecuzoma regarda par la fenêtre d’un
air rêveur. « As-tu rencontré également des créatures marines
ailées ?
— Oui Seigneur. Des essaims entiers. J’ai d’abord cru que
c’étaient des insectes, mais j’en ai attrapé un et je l’ai mangé ; c’était
indiscutablement un poisson qui volait. »
Motecuzoma semblait soulagé. « Ce ne sont que des poissons,
murmura-t-il. Maudits soient ces imbéciles de Maya ! Ils vont semer la
panique avec leurs histoires à dormir debout. Je vais tout de suite faire
rétablir la vérité. Merci, Chevalier Mixtli, tu nous as rendu un grand service
et tu mérites une récompense. Je t’invite avec toute ta famille à faire partie
du petit nombre qui m’accompagnera sur le sommet du Huixachtecatl pour la
cérémonie du Feu Nouveau, le mois prochain.
— Je suis très honoré, Seigneur », lui répondis-je très
sincèrement.
Cette cérémonie n’a lieu qu’une seule fois par génération et le citoyen
moyen ne peut jamais la voir de près, car le Huixachtecatl ne pouvait
accueillir qu’un nombre restreint de spectateurs, en plus des officiants.
« Des poissons, répéta Motecuzoma. Mais c’est en pleine mer que tu
les as rencontrés. S’ils se sont approchés assez près du rivage pour que les
Maya puissent les voir, c’est peut-être tout de même un présage…»
Je n’ai rien à ajouter, mes révérends et je rougis de ma présomptueuse
incrédulité. Les deux apparitions aperçues par les Maya étaient, vous vous en
doutez, vos navires à voiles. Je sais maintenant que c’étaient vos bateaux
venus repérer le rivage.
Je m’étais trompé ; il s’agissait bien d’un présage.
Motecuzoma m’avait reçu vers la fin de l’année, à l’approche des jours
sans vie et nous étions, je le répète, dans l’année Un Lapin – en l’an mille cinq
cent six de votre calendrier.
Vous savez que pendant ces journées, nous vivions dans la hantise d’un
désastre quelconque. Mais, cette fois-là, ce fut encore pire car l’année Un
Lapin était la dernière des cinquante-deux années qui constituent un faisceau,
ce qui nous faisait redouter la catastrophe suprême : la disparition
totale de l’humanité. Nous pensions qu’après avoir déjà par quatre fois
supprimé la race des hommes, les dieux choisiraient un moment comme celui-là
pour nous exterminer à nouveau. Pendant les cinq jours qui séparaient l’année
Un Lapin de l’année Un Roseau, tout le monde se replia dans son coin. On avait
même éteint le feu qui brûlait sans désemparer depuis cinquante-deux ans sur le
sommet du Huixachtecatl.
Dans toutes les familles, pauvres ou riches, on avait brisé les
ustensiles de cuisine en terre, on avait enterré ou jeté dans le lac les
pierres à broyer le maïs et tous les objets en pierre, en cuivre ou en métal
précieux, on avait brûlé les cuillers de bois, les batteurs à chocolat et tous
les instruments du même genre. Pendant ces cinq jours, on n’avait presque rien
absorbé, on s’était servi de feuilles de maguey en guise d’assiettes et on
avait mangé les camotli froids ou de la purée d’atolli préparée à l’avance,
avec les doigts. Depuis l’Orateur Vénéré jusqu’au plus humble des esclaves,
tout le monde attendait en essayant de passer inaperçu.
Bien que rien de remarquable ne se soit produit pendant ces cinq
journées, la tension et l’appréhension ne cessèrent de croître, pour atteindre
leur maximum quand Tonatiuh alla se coucher au soir du cinquième jour.
Allait-il se lever le lendemain et annoncer un nouveau jour, une nouvelle année
et un nouveau faisceau ? Le peuple ne pouvait rien faire. C’était la tâche
des prêtres d’essayer tous les moyens de persuasion qu’ils avaient en leur
possession. Peu après le coucher du soleil, quand il fit complètement nuit, un
cortège formé par les chefs des prêtres de chaque dieu et de chaque déesse,
costumés, masqués et fardés pour ressembler aux divinités, quitta Tenochtitlán
pour le Huixachtecatl.
L’Orateur Vénéré et ses invités leur emboîtèrent le pas et je me
trouvais parmi eux, tenant Nochipa par la main.
« Tu n’as que neuf ans, lui avais-je dit,
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