Azteca
et il est bien possible
que tu sois encore là au moment du prochain Nouveau Feu, mais tu ne seras
peut-être pas invitée à assister à la cérémonie. Tu as beaucoup de chance de
voir ça. »
Elle était tout excitée par cette perspective, car c’était la première
grande fête religieuse où je l’amenais. Si l’occasion n’avait pas été aussi
solennelle, elle aurait bien gambadé auprès de moi, mais, au contraire, elle
marchait posément, comme il convenait, le visage dissimulé derrière un masque
que je lui avais confectionné dans une feuille de maguey. Tout en suivant le cortège
dans les ténèbres, je pensais à ce temps lointain où j’avais accompagné mon
père à la cérémonie en l’honneur d’Atlaua, le dieu des oiseleurs, à Xaltocán.
Comme tous les enfants, Nochipa avait la figure cachée par un masque,
car on croyait – ou du moins, on espérait – que si les dieux décidaient de
débarrasser la terre des hommes, ils ne prendraient pas ces enfants masqués
pour des créatures humaines et qu’ils les épargneraient. Ainsi, il resterait au
moins quelques survivants pour perpétuer la race. Les adultes n’avaient pas
recours à de tels procédés, mais ils ne se laissaient pas pour autant sombrer
dans un sommeil résigné. Partout, les gens passaient la nuit sur les terrasses
de leurs maisons à se pousser du coude et à se pincer pour rester éveillés, les
yeux fixés sur le sommet du Huixachtecatl et priant pour que le rougeoiement du
Feu Nouveau vienne leur annoncer que les dieux avaient encore une fois différé
le désastre final.
Cette colline forme un promontoire qui sépare les lacs Texcoco et Xochimilco,
au sud de la ville d’Ixtapalapan. Son nom lui vient des buissons de huixachi
qui, à cette saison, commençaient à peine à donner leurs petites fleurs jaunes
au parfum entêtant. C’est la seule éminence qui puisse être vue par tous les
habitants de cette région depuis Texcoco, à l’est jusqu’à Xaltocán, au nord.
C’est pour cette raison qu’elle avait été choisie, il y a fort longtemps, pour
être le site du Feu Nouveau.
Comme nous suivions le sentier qui grimpe en douceur jusqu’au sommet de
la colline, j’entendis Motecuzoma murmurer d’un air préoccupé à l’un de ses
conseillers :
« Les chiquacentetl vont se lever cette nuit, n’est-ce
pas ? »
Le sage, un astronome d’un certain âge, mais qui possédait encore une
vue perçante, lui répondit en haussant les épaules :
« Elles se sont toujours levées, Seigneur et rien dans mes
observations ne me permet de penser que ça ne va pas continuer. »
Motecuzoma parlait de la petite constellation des six pâles étoiles
dont l’ascension dans le ciel expliquait notre présence ici. L’astronome chargé
de calculer et de prédire les mouvements des astres semblait suffisamment sûr
de lui pour dissiper toutes les craintes. Cet homme était réputé pour son
irréligion notoire et son franc-parler et il déclara froidement :
« Aucun dieu, de tous ceux que nous connaissons, ne s’est jamais
montré capable d’interrompre l’harmonieux mouvement des corps célestes.
— Si les dieux les ont placés là, vieux mécréant, répliqua
sèchement un devin, ils peuvent aussi les déplacer à leur guise. S’ils ne le
font pas, c’est qu’ils n’en ont pas envie. De toute façon, la question n’est
pas tant de savoir si les étoiles vont se lever, mais si elles seront à la
bonne place au milieu précis de la nuit.
— Chose qui dépend moins des dieux que de la notion du temps du
prêtre qui va souffler dans la trompette de minuit et je parie qu’il sera soûl
depuis longtemps. »
Motecuzoma riait sous cape et ne semblait plus s’inquiéter de l’issue
de la nuit. Ensuite, ils s’éloignèrent et je n’entendis plus leur conversation.
De jeunes prêtres nous avaient précédés au sommet de la colline et ils
avaient préparé une pile de torches ainsi qu’une haute pyramide de bûches pour
le feu. Ils avaient placé également une pierre et un bâton à feu, des mèches
roussies, de fines lamelles d’écorce et des touffes de coton imbibé d’huile. Le
xochimiqui, un jeune guerrier texcalteca, était déjà couché sur la pierre du
sacrifice. La seule lumière provenait des étoiles et du quartier de lune qui se
reflétait dans le lac. Mais les yeux s’étant habitués à l’obscurité, on
discernait les plis et les contours du terrain et les villes apparemment
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