Azteca
l’astronome était en train de
répliquer d’un ton railleur :
« Alors, plus de sécheresse, plus de malheurs, un faisceau
d’années prospères en perspective ! C’est très rassurant tout ça, l’ami
sorcier, mais ne voyez-vous aucun présage dans les cieux ?
— Les cieux sont votre affaire, rétorqua sèchement le devin. C’est
vous qui en dressez la carte et je lirai ce que les cartes ont à nous dire.
— Vous trouveriez davantage d’inspiration, ricana l’astronome, si
une fois de temps en temps, vous regardiez les astres au lieu de vous enfermer
dans les cercles et les angles ridicules que vous dessinez. » Puis,
montrant les graffiti sur le sol, il ajouta : « Vous ne voyez donc
aucune yqualoca qui s’annonce ? »
Yqualoca veut dire éclipse. Le devin, le prêtre et l’Orateur Vénéré
répétèrent d’une voix tremblante : « Eclipse !
— De soleil, précisa l’astronome. Le vieux drôle, lui-même, aurait
pu la prévoir s’il s’était penché un peu sur l’histoire du passé au lieu de
prétendre connaître l’avenir. »
Le devin resta sans voix. Motecuzoma le foudroya du regard et
l’astronome poursuivit :
« Il est écrit, Seigneur Orateur, que les Maya du sud ont vu une
yqualoca mordre goulûment Tonatiuh au cours de l’année Dix Maison. Le mois
prochain, le jour Sept Lézard, cela fera exactement dix-huit ans et onze jours
que s’est produit ce phénomène et d’après les recherches que nous avons faites,
mes prédécesseurs et moi, l’éclipse du soleil survient régulièrement toutes les
dix-huit années, quelque part dans le Monde Unique. Je puis prédire avec
certitude que Tonatiuh sera caché par une ombre le jour Sept Lézard.
Malheureusement, comme je ne suis pas devin, je ne sais pas quelle importance
aura cette yqualoca, ni dans quel pays on pourra l’observer. Néanmoins, ceux
qui la verront risquent de la prendre pour un présage particulièrement funeste,
étant si proche du Feu Nouveau et je pense qu’il, serait judicieux, Seigneur,
d’avertir tous les peuples afin que leur frayeur soit moins grande.
— Tu as raison, dit Motecuzoma. Je vais envoyer des messagers
partout, même chez nos ennemis, afin qu’ils n’interprètent pas ce présage comme
un signe d’affaiblissement. Merci, Seigneur Astronome. Quant à toi…» Il se
tourna vers le devin tremblant, avec une expression glacée. « Il arrive
aux plus sages et aux plus savants de se tromper et c’est une chose
pardonnable. Mais un devin complètement incapable est un danger pour le pays.
Quand nous serons de retour en ville, tu iras trouver ma garde pour qu’elle
t’exécute. »
Le surlendemain matin, jour Deux Roseau de l’année du même nom, le
grand marché de Tlatelolco, comme tous les marchés du Monde Unique, regorgeait
d’acheteurs venus se réapprovisionner en ustensiles domestiques. Bien qu’ils
aient peu dormi depuis la nuit du Feu Nouveau, les gens étaient gais et bruyants,
heureux d’avoir remis leurs plus beaux vêtements et leurs bijoux et que les
dieux les aient jugés dignes de continuer à vivre.
A midi, du haut de la grande pyramide, le Uey tlatoani Motecuzoma
adressa au peuple son message traditionnel. Il reprit les prédictions du devin
tout en diluant prudemment ce doux miel avec l’avertissement que les dieux
continueraient à prodiguer leurs bienfaits aussi longtemps qu’ils seraient
satisfaits des Mexica. Par conséquent, les hommes devraient se montrer durs à
la tâche et les femmes économes. Il faudrait mener les guerres avec vaillance
et faire des offrandes et des sacrifices pendant les cérémonies. En somme, tout
continuait comme par le passé. Il n’y avait rien de neuf dans l’allocution de
Motecuzoma, sauf l’annonce, faite aussi naturellement que s’il s’agissait d’une
réjouissance populaire, de l’éclipse de soleil.
Tandis qu’il pérorait au sommet de la pyramide, ses messagers avaient
déjà quitté Tenochtitlán vers tous les points de l’horizon pour apporter aux
dirigeants et aux Anciens de toutes les communautés du Monde Unique la nouvelle
de l’imminence de l’éclipse, en insistant sur le fait que les dieux avaient
d’abord prévenu nos astronomes de l’événement. Mais c’est une chose d’être
averti d’un phénomène terrifiant et c’en est une autre quand il survient en
réalité.
Même moi, qui avais été l’un des premiers à être au courant, je ne pus
garder une attitude
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