Azteca
présages
alarmants dont tout le monde est maintenant persuadé qu’ils annonçaient la
chute des Mexica, l’anéantissement de toutes les civilisations qui avaient
fleuri sur ces terres, la mort de nos dieux et la fin du Monde Unique.
Un jour, vers la fin de l’année Un Lapin, un page du palais vint me
chercher pour que je me présente sans délai devant le Uey tlatoani. Je
mentionne le nom de l’année, parce qu’elle a une signification funeste en
elle-même, comme je vous l’expliquerai plus tard.
Cette fois, l’Orateur Vénéré était seul, mais je remarquai deux
nouveautés. De chaque côté de son trône, pendait une grande roue de métal fixée
par des chaînes dans un cadre de bois sculpté. L’une était en or et l’autre en
argent et leur diamètre faisait deux ou trois fois celui d’un bouclier. Ces
deux disques étaient gravés de scènes de victoire de Motecuzoma et ils avaient
une valeur incalculable, ne serait-ce que par le poids du métal précieux et le
travail de l’artiste leur en donnait encore davantage. J’appris plus tard
qu’ils n’étaient pas uniquement décoratifs. Lorsque l’Orateur Vénéré frappait
du poing dessus, ces disques résonnaient dans tout le palais. Ils rendaient
chacun un son différent ; celui d’argent suscitait l’apparition
instantanée de l’intendant du palais et le grondement de la roue d’or, celle d’une
troupe entière de gardes en armes.
Sans m’adresser la moindre parole de bienvenue, mais avec beaucoup
moins de froideur que de coutume, Motecuzoma me demanda :
« Chevalier Mixtli, tu connais bien le pays des Maya ?
— Oui, Seigneur Orateur.
— Penses-tu que c’est un peuple particulièrement prompt à
s’exciter ?
— Pas du tout, Seigneur. Au contraire, la plupart de ces gens sont
aussi mous que des tapirs ou des lamantins.
— Comme beaucoup de prêtres. Mais cela ne les empêche pas d’avoir
des visions de mauvais augure. En est-il de même chez les Maya ?
— D’avoir des visions ? Les dieux en accordent parfois aux
mortels les plus apathiques. Surtout quand ils se sont drogués avec des
champignons. Mais ces misérables descendants des Maya se rendent à peine compte
de ce qui se passe autour d’eux, à moins d’un événement tout à fait
extraordinaire. Si mon Seigneur veut bien m’en dire davantage…
— Un messager maya vient de traverser la ville au pas de course –
il n’était pas du tout apathique – et il s’est arrêté juste le temps de confier
en haletant un message aux gardes du palais. Ensuite, il a pris en toute hâte
la direction de Tlacopan, avant que j’aie pu donner l’ordre de le retenir pour
le questionner. Il paraît que les Maya dépêchent ainsi des messagers dans tous les
pays pour leur annoncer une chose extraordinaire. Tu connais la péninsule
d’Uluûmil Kutz qui s’avance dans l’océan du Nord ? Eh bien, les Maya qui y
vivent ont vu au large deux apparitions effrayantes. » Il ne put résister
au plaisir de me tenir un moment en haleine. « Une sorte de maison
gigantesque qui flottait sur la mer et quelque chose qui avançait avec de
grandes ailes déployées. » Je ne pus m’empêcher de sourire et il
grogna : « Est-ce que tu vas me répondre que les Maya sont des fous
visionnaires ?
— Non, Seigneur, fis-je, souriant toujours. Mais je crois savoir
de quoi il s’agit. Puis-je vous poser une question ? » Il hocha
sèchement la tête. « Y avait-il une ou deux choses ?
— Le messager est parti avant qu’on puisse lui demander des
détails, gronda Motecuzoma. Il a dit qu’on avait vu deux choses. Je suppose que
l’une était la maison flottante et l’autre l’objet ailé. En tout cas, il paraît
qu’ils étaient très loin, aussi on ne peut pas en avoir une description
détaillée. Pourquoi souris-tu ainsi ?
— Ces gens n’ont pas eu des visions, Seigneur, mais ils sont trop
paresseux pour chercher à savoir ce que c’est. S’ils avaient eu l’idée ou le
courage de s’en approcher, ils se seraient rendu compte qu’il ne s’agissait que
de créatures marines et ils ne seraient pas allés répandre partout ces
nouvelles alarmantes.
— Veux-tu dire que tu en as déjà vu ? me demanda Motecuzoma,
impressionné. Des maisons qui flottent ?
— Non, pas une maison, Seigneur, mais un poisson plus gros qu’une
maison. Les pêcheurs l’appellent le yeyemichi. » Après lui avoir fait le
récit de mon aventure, j’ajoutai :
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