Azteca
Femme, va me préparer ces grenouilles. Il a fallu que je les
pêche deux fois. »
La femme murmura à nouveau et il éclata :
« Comment ? Un étranger ? »
D’un geste brusque, il écarta le rideau de la pièce où j’étais assis.
C’était bien lui ; il avait encore des algues dans les cheveux et il était
tout crotté jusqu’à la taille. Le regard fulminant, il hurla :
« Vous ! »
Je m’inclinai pour faire le geste de baiser la terre, tout en gardant
la main droite sur le manche du couteau que j’avais à la ceinture. Alors, à ma
grande stupéfaction, il éclata de rire, s’avança vers moi et m’entoura
amicalement de ses bras. Sa femme et les autres membres de sa famille avaient
passé la tête dans l’embrasure de la porte, les yeux agrandis par la surprise.
« Bienvenue, étranger ! s’exclama-t-il en riant toujours. Par
les jambes écartées de la déesse Coyaulxauh-qui, je suis content de vous
retrouver. Regardez un peu dans quel état je suis à cause de vous. Quand j’ai
réussi à me sortir de cette fosse, tous les bateaux étaient partis, je suis
rentré en traversant le lac à pied.
— Et vous avez trouvé ça drôle ? demandai-je prudemment.
— Par le tipili sec de la déesse Lune, pour ça oui ! C’est la
première fois de toute mon existence dans ce trou lugubre qu’il m’arrive
quelque chose d’inattendu. Je vous remercie d’avoir interrompu cet abîme de
monotonie. Comment vous appelez-vous ?
— Je m’appelle… euh… Tepetzalan, répondis-je, empruntant le nom de
mon père pour cette occasion.
— Vallée, fit-il. C’est bien la plus haute vallée que j’aie jamais
vue. Eh bien, ne craignez aucune représaille de ma part. Par les tétons
flasques de la déesse, quel plaisir de rencontrer un homme qui a des testicules
sous son pagne. Si les hommes de ma tribu en ont, ils ne les montrent qu’à leur
femme. » Il se retourna alors pour crier à la sienne : « Il y a
assez de grenouilles pour mon ami et moi. Prépare-les pendant que je vais à
l’étuve. Ami Tepetzalan, peut-être aimeriez-vous vous rafraîchir, vous
aussi ? »
Pendant que nous nous déshabillions dans l’étuve qui était derrière la
maison, le tecuhtli me dit :
« Vous êtes sûrement un de nos lointains cousins du désert. Aucun
de nos voisins ne parle notre langue.
— Oui, je suis bien un de vos cousins, mais je ne viens pas du
désert. Avez-vous entendu parler de la nation mexica et de la grande ville de Tenochtitlán ?
— Non, répondit-il, comme s’il n’avait pas honte de son ignorance.
Aztlán est la seule ville au milieu de ces villages misérables. » Je me
gardai de rire et il poursuivit : « Nous nous flattons de nous
suffire à nous-mêmes ici, aussi nous sortons rarement de chez nous pour faire
des échanges avec les autres tribus. Nous connaissons seulement nos plus
proches voisins, mais nous ne nous mêlons pas à eux. Au nord de ces marécages,
vivent les Kaita. Puisque c’est de là que vous venez, vous avez dû vous rendre
compte de leur pauvreté. Au sud d’ici, il n’y a qu’un tout petit village,
Yakoreke. »
C’était une bonne nouvelle. Si Yakoreke était le village le plus
proche, cela voulait dire que j’étais moins loin de chez moi que je l’avais
cru. Yakoreke est l’avant-poste d’un territoire assujetti aux Purépecha. De là,
le Michoacán n’était pas bien loin et ensuite, c’étaient les pays de la Triple
Alliance.
« A l’est, poursuivit le jeune homme, se trouvent de hautes
montagnes où vivent les Cora et les Huichol et au-delà de ces montagnes s’étend
un très vaste désert où des gens pauvres de chez nous se sont exilés il y a
très longtemps. Il arrive très rarement que l’un d’entre eux revienne à la
terre de ses ancêtres.
— Je connais ces parents pauvres dont vous parlez, mais je vous le
répète, je n’en suis pas et je sais aussi que tous vos parents éloignés ne sont
pas tous restés pauvres. Parmi ceux qui sont partis d’ici pour chercher fortune
ailleurs, il en est qui l’ont trouvée et une fortune qui dépasse tout ce que
vous pouvez imaginer.
— Je suis bien heureux de l’apprendre, dit-il sur un ton
indifférent. Le grand-père de ma femme s’en réjouira encore davantage ;
c’est le conteur de « l’histoire d’Aztlán ». »
Cette remarque me fit réaliser que les Azteca ne connaissaient pas
l’art des mots que les Mexica n’avaient acquis que
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