Azteca
Tarahumara et, du reste, j’y
trouvai des villages creusés dans le roc dont les habitants leur ressemblaient
beaucoup et parlaient une langue très voisine. Ils m’apprirent d’ailleurs
qu’ils leur étaient apparentés.
Lorsqu’enfin je redescendis sur l’autre versant, j’arrivai sur une
plage quelque part au sud de celle où j’avais abordé lors de mon involontaire
expédition maritime, dix ans auparavant. J’appris par les tribus de pêcheurs
qui peuplaient la côte, que ce pays s’appelait le Sinaloa. Ces gens, les Kaita,
ne firent pas preuve d’hostilité à mon égard, mais ils ne se montrèrent pas non
plus accueillants ; ils étaient simplement indifférents et leurs femmes
sentaient le poisson. Je ne m’attardai donc pas chez eux et poursuivis ma route
vers le sud, espérant trouver Aztlán, quelque part « au bord du grand
océan », comme l’avait dit le vieux chef mapimi.
En général, je suivais la plage, mais parfois j’étais obligé de
m’enfoncer dans l’intérieur des terres pour contourner une lagune, un marécage
ou une impénétrable forêt de palétuviers. Parfois aussi, il me fallait attendre
au bord d’un fleuve grouillant d’alligators, qu’un pêcheur passe pour qu’il me
fasse passer sur l’autre rive avec son bateau, en maugréant, la plupart du
temps.
Cependant, dans l’ensemble, tout se passa très bien. La brise fraîche
qui venait de la mer tempérait l’ardeur du jour et la nuit, le sable tiède
faisait une couche où je dormais confortablement.
Aux plages, succédèrent des fourrés inextricables où la végétation se
mêlait aux palétuviers couverts de mousses et aux racines innombrables. A marée
basse, le sol était boueux, glissant et parsemé de flaques d’eau stagnante et à
marée haute, il était complètement recouvert par l’eau salée. Ces marais
étaient torrides, humides, poisseux, puants et infestés de moustiques voraces.
J’avais essayé d’obliquer vers l’est pour les contourner, mais ils semblaient
s’étendre jusqu’au pied des montagnes. Il me fallut donc les traverser, obligé
de patauger dans la boue et la vase nauséabonde, quand je ne pouvais pas sauter
d’un endroit sec à un autre.
Je ne sais plus combien de jours j’ai passés dans cette odieuse
contrée. Je me nourrissais de pousses de palmes et de cresson mexixin. La nuit,
je choisissais un creux dans un arbre où je pourrais dormir hors de portée des
alligators et des brumes nocturnes qui rasaient le sol. Je ne m’étonnais pas de
ne rencontrer âme qui vive, car personne n’aurait voulu vivre dans un endroit
aussi malsain. J’ignorais totalement à quel pays il pouvait appartenir ;
je savais seulement que je me trouvais loin au sud du Sinaloa et je pensais
être dans les parages du Nayarit, sans en avoir la certitude puisque je n’avais
encore vu personne.
Enfin, un jour, au plus profond de ce sordide marécage, je rencontrai
un être humain. C’était un jeune homme vêtu d’un pagne, penché au-dessus d’un
trou d’eau et qui tenait à la main une rudimentaire fourche à trois pointes.
J’étais si surpris et si heureux que je fis une chose impardonnable : je
le hélai d’une voix sonore au moment même où il enfonçait sa perche dans l’eau.
Il releva la tête, me foudroya du regard et gronda :
« Vous me l’avez fait rater. »
Je restai interdit, non pas à cause de ses paroles, car en somme, il
avait bien raison de m’en vouloir, mais parce que, contrairement à mon attente,
il ne s’était pas exprimé en poré.
« Je suis désolé », fis-je, moins haut.
Il dégagea sa fourche de la vase et je m’approchai de lui sans faire de
bruit. Il l’enfonça une nouvelle fois d’un coup sec et la ressortit aussitôt.
Cette fois, une grenouille frétillait au bout de l’une des pointes.
« Vous parlez nahuatl », constatai-je. Il grogna et jeta la
grenouille dans un panier tressé où elle alla rejoindre plusieurs de ses
congénères. Pensant que j’étais peut-être tombé sur un descendant des ancêtres
du chef mapimi qui étaient restés sur place, je lui demandai :
« Vous êtes un Chichimecatl ? »
J’aurais été bien étonné s’il m’avait répondu affirmativement, mais ce
qu’il dit me laissa encore plus stupéfait.
« Je suis un Aztecatl. » Puis, il ajouta en se penchant sur
la mare : « Et je suis très occupé.
— Et vous avez une façon bien peu courtoise d’accueillir les
étrangers »,
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