Azteca
faire passer pour l’omniscient messager des
dieux. Nezahualpilli n’est pas aussi sceptique que toi, jeune Taupe. Il sait
écouter le plus humble des hommes si cet homme dit la vérité.
— Je vous fais mes excuses, lui dis-je après un moment. Je vous
dois des remerciements, vieillard, c’est certain. Je vous suis réellement
reconnaissant pour…»
Il m’interrompit d’un geste. « Je ne l’ai pas fait uniquement pour
tes beaux yeux. J’y trouve aussi mon compte. Sois un serviteur fidèle du Uey
tlatoani et nous y gagnerons tous les deux notre récompense. Va maintenant.
— Oui, mais où ? Personne ne m’a dit où et à qui je dois me
faire annoncer. Dois-je seulement traverser la colline et espérer qu’on me
reconnaisse ?
— Le palais est de l’autre côté et on t’attend. Je ne sais pas si
le Vénéré Orateur te reconnaîtra la prochaine fois que vous vous rencontrerez.
— On ne s’est jamais rencontré, me lamentai-je. Comment
pourrions-nous nous reconnaître ?
— Ah ! bon ! Alors je te conseille de te mettre dans les
bonnes grâces de Tolana Teciuapil, la Dame de Tolan. Elle est la préférée des
sept femmes légitimes de Nezahualpilli. Il a également quarante concubines et
il y a au palais soixante fils et cinquante filles du Vénéré Orateur. Je me
demande s’il connaît son dernier rejeton. Il croira peut-être que tu es un
bâtard oublié, né de ses pérégrinations à l’étranger. Un fils qui revient à la
maison. Mais ne crains rien, tu seras bien accueilli, jeune Taupe. »
Je partis, puis revins sur mes pas : « Ne puis-je pas d’abord
vous être utile à quelque chose ? Je pourrais vous aider à monter jusqu’en
haut.
— Je te remercie de ta bonté, me dit-il, mais je vais encore me
promener un peu. Il vaut mieux que tu affrontes cette colline tout seul, car
toute ta vie dépend de ce que tu trouveras de l’autre côté. »
C’étaient des paroles solennelles, mais j’y vis une petite erreur et je
souris de ma propre perspicacité. « Il est certain que ma vie attend là,
quel que soit le chemin que je prenne pour y arriver et que j’y aille seul ou
accompagné. »
L’homme couleur cacao sourit lui aussi, ironiquement. « A ton âge,
il y a beaucoup de vies possibles. Prends le chemin que tu veux. Va seul ou en
compagnie, tes compagnons feront un bout de route avec toi, mais à la fin de ta
vie, que tes chemins et tes jours aient été ou non encombrés, tu auras appris
ce que tout le monde finit par apprendre. Mais il sera trop tard pour
recommencer, trop tard pour regretter. Alors apprends-le tout de suite. On ne
vit qu’une seule vie que l’on a choisie et elle est, le plus souvent,
solitaire. Alors, Mixtli, quel chemin vas-tu prendre et en quelle
compagnie ? »
Je me mis à escalader la colline, seul.
IHS
A.I.M.C.
A Son Auguste et Impériale Majesté Catholique, l’Empereur Charles
Quint, Notre Roi
A notre Sage Monarque et Vertueuse Majesté, de la ville de Mexico,
capitale de la Nouvelle-Espagne, le jour de la fête de la Circoncision en
l’année de Notre Seigneur mille cinq cent vingt-neuf.
C’est d’un cœur lourd, mais d’une main obéissante, Majesté, que votre
chapelain vous envoie, comme vous l’avez ordonné, une nouvelle série d’écrits
dictés par notre Aztèque – ou plutôt notre Asmodée, comme je suis de plus en
plus enclin à le penser.
Votre humble clerc est bien capable de comprendre le point de vue
sarcastique de Votre Majesté quand elle déclare que « la chronique de
l’Indien est bien plus significative que les perpétuelles fanfaronnades du
nouveau Marquis, le Seigneur Cortés en personne, qui nous honore constamment de
sa présence à la cour ». Même un pauvre et malheureux évêque peut
percevoir l’ironie de Votre Majesté quand elle dit que « les missives de
l’Indien sont les premières, en provenance de la Nouvelle-Espagne, qui ne
cherchent pas à lui extorquer un titre, une grande concession dans les terres
conquises ou un prêt ».
Mais Sire, nous sommes effarés lorsque vous dites que vous-même et vos
courtisans avez été littéralement subjugués et transportés à la lecture de ces
pages. Soyez certain que nous ne prenons pas à la légère notre engagement en
tant que sujets de Votre Très Eminente Majesté, mais d’autres serments sacrés
nous obligent à donner un avis personnel, ex officio et de fide, sur la
divulgation irréfléchie de cette sordide
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