Azteca
grandir.
— J’espérais que nous grandirions ensemble.
— On peut continuer à espérer. Tu reviendras à la maison pour les
fêtes et on sera ensemble. Quand tu auras terminé tes études, tu pourras
peut-être devenir riche et puissant, on t’appellera Mixtzin et un noble peut
épouser qui bon lui semble.
— Ce que je souhaite par-dessus tout, Tzitzin, c’est arriver à
connaître parfaitement les mots. C’est mon unique ambition et il y a peu de
scribes qui méritent qu’on ajoute un tzin à leur nom.
— D’accord, mais on t’enverra peut-être dans une province éloignée
où personne ne sait que tu as une sœur. Dès que tu me feras signe, je viendrai.
La fiancée de ton île natale.
— Ça pourra prendre des années et tu es bientôt en âge de te
marier. Ce damné Pactli vient, lui aussi, en vacances à Xaltocán. Il sera
définitivement de retour ici bien avant que je termine mes études. Tu sais ce
qu’il souhaite et que ses désirs sont des ordres qui ne peuvent être
transgressés.
— Sans doute, mais on peut gagner du temps, me répondit-elle. Je
ferai tout mon possible pour décourager ce Seigneur Joie et il sera peut-être
moins insistant dans ses exigences » – elle me sourit bravement –
« quand il saura que j’ai un parent et un protecteur à la puissante cour
de Texcoco. Tu vois bien qu’il faut que tu partes. » Ses lèvres se mirent
à trembler. « Les dieux veulent que nous soyons séparés un moment afin que
nous ne soyons pas séparés pour toujours. » Son sourire s’évanouit
complètement et elle fondit en larmes.
L’acali du Seigneur Os Fort était en acajou richement sculpté,
recouvert d’un dais à franges et décoré d’écussons de jade et de bannières de
plume à la hauteur de son rang. Il dépassa la partie de la ville de Texcoco qui
borde le lac – que vous appelez maintenant Saint Antoine de Padoue – et
continua vers le sud pendant environ une longue course, en direction d’une
petite colline qui s’élevait directement au-dessus des eaux du lac.
« Texcotzinco. » C’était le premier mot que m’adressait le
Femme-Serpent depuis le début du voyage qui avait duré toute la journée. Je
clignai des yeux pour essayer de voir la colline, car sur l’autre côté s’élevait
la résidence d’été de Nezahualpilli.
Le gros canoë se dirigea vers une jetée solidement construite, les
rameurs relevèrent leurs avirons et le barreur sauta à terre pour attacher le
bateau. J’attendis que le Seigneur Os Fort fût descendu, aidé par les matelots,
pour grimper moi-même sur le quai avec le panier d’osier où j’avais mis toutes
mes affaires. Le Femme-Serpent me montra un escalier de pierre qui menait de la
jetée au sommet de la colline et me dit laconiquement : « Par ici,
jeune homme », et il n’ouvrit plus la bouche pendant tout le reste de la
journée. J’hésitai, me demandant s’il serait plus poli de l’attendre, mais il
surveillait le déchargement de tous les cadeaux que le Seigneur Héron Rouge
avait envoyés au Uey tlatoani Nezahualpilli. Je mis donc mon panier sur mon
épaule et commençai à monter l’escalier.
Certaines marches étaient faites de blocs taillés de la main de l’homme
et d’autres étaient creusées à même le roc. A la treizième marche j’arrivai sur
un large palier de pierre où il y avait un banc pour se reposer et une petite
statue d’un dieu que je ne reconnus pas. Puis treize autres marches et encore
un autre palier. Je continuai ainsi à monter en zigzag et à la
cinquante-deuxième marche, je débouchai sur une terrasse plate, vaste esplanade
aménagée dans le flanc de la colline. C’était un luxuriant jardin planté de
fleurs de toutes les couleurs. Je suivis un chemin dallé qui serpentait
paresseusement au milieu des parterres, sous des arbres magnifiques, le long de
ruisseaux sinueux et de petites chutes d’eau glougloutantes. Puis le chemin
redevint escalier. Treize marches encore, un palier, un banc, une statue…
Le ciel s’était couvert et la pluie se mit à tomber, comme toujours
pendant la saison des pluies – un orage de fin du monde : éclairs
fourchus, roulements de tonnerre accompagnés d’un déluge de pluie qui semblait
devoir ne jamais prendre fin. Il devait s’arrêter pourtant, en moins de temps
qu’il n’en faut pour faire une bonne sieste, à temps pour que Tonatiuh ou
Tezcatli-poca, puisse briller à nouveau sur un univers tout luisant de
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