Azteca
histoire.
Votre clairvoyante Majesté n’a pu manquer de remarquer que les
dernières pages portent – avec une grande désinvolture, sans regrets, ni
remords – sur des crimes comme l’homicide, le suicide, l’anthropophagie, la
prostitution, l’inceste, la torture, l’idolâtrie et le manquement au
commandement d’honorer père et mère. Si, comme on le dit, les péchés sont les
blessures de l’âme, alors l’âme de cet Indien saigne de toutes parts.
Mais au cas où certaines de ses insinuations auraient échappé à Votre
Majesté, qu’il me soit permis d’insister sur le fait que cet Indien grossier a
osé dire que son peuple se targue d’une vague descendance d’un couple originel,
parodie païenne d’Adam et Eve. Il insinue également que les Chrétiens sont les
adorateurs de tout un panthéon comparable à la horde grouillante de démons que
ces gens idolâtrent. Toujours blasphémant, il prétend que des Saints Sacrements
comme le Baptême, l’Absolution par la Confession et même les actions de grâces
avant les repas étaient pratiqués dans ces pays avant qu’ils n’aient eu
connaissance de Notre Seigneur et du don qu’il nous a fait de ces sacrements.
Mais son plus vil sacrilège, comme le lira bientôt Votre Majesté, a été d’avoir
voulu nous faire croire que l’un des chefs de ces pays était né d’une vierge.
Dans sa dernière lettre, Votre Majesté nous demande certaines
précisions. Bien que nous ayons assisté en personne à plusieurs séances du
récit de l’Indien, – et nous continuerons à le faire, si nous en avons le
temps, afin de lui poser des questions précises ou pour pouvoir exiger des
explications sur certaines de ses allégations – nous rappelons respectueusement
à Votre Majesté que son Evêque de Mexico a d’autres charges pressantes qui
l’empêchent de vérifier ou de désapprouver personnellement tous ces bavardages
et ces prétentieuses affirmations.
Donc, Votre Majesté me demande un supplément d’information concernant
l’une des assertions de l’Indien et nous espérons sincèrement que ce n’est
qu’une amusante plaisanterie de la part d’un souverain plein d’esprit.
Toutefois, nous devons vous répondre ceci : Non, Sire nous ne savons rien
des propriétés que l’Indien prête à la racine appelée barbasco. Nous ne
saurions confirmer si elle vaudrait « son pesant d’or » comme
marchandise dans le commerce espagnol. Nous ne savons rien à ce sujet qui
« pourrait faire taire les bavardages des dames de la cour ». La
seule insinuation que Notre Seigneur aurait pu créer un légume capable
d’empêcher la conception de la vie humaine répugne à notre sensibilité, et
c’est un affront.
Pardonnez-moi ce pâté, Sire. Notre émotion nous fait trembler la main,
mais satis superque …
Selon les ordres de Votre Majesté, nos Frères et le jeune Frère convert
continueront à écrire ces pages jusqu’au moment – proche j’espère – où Votre
Majesté décidera de les relever de cette pénible tâche, ou jusqu’au moment où
ils ne pourront plus l’assumer. Nous ne pensons pas trahir le secret de la
confession en vous disant que ces derniers mois, les confessions des Frères
sont devenues délirantes et qu’elles font glacer le sang dans les veines, ce
qui nous oblige à exiger pour l’absolution de très sévères pénitences.
Que Jésus-Christ, Notre Sauveur et Notre Maître, soit toujours l’appui
et la défense de Votre Majesté contre les forces du Mal, tel est le vœu
constant du chapelain de Votre A.I.M.C.,
( ecce signum ) Zumarraga
QUARTA PARS
L’autre versant de la colline était encore plus beau que celui qui
regardait vers le lac Texcoco. Il était en pente douce et les jardins
s’étageaient à perte de vue, parfois strictement ordonnés, parfois pleins de
fantaisie, scintillants de mares, de fontaines et de pièces d’eau. Sur de
grandes prairies, broutaient des cerfs apprivoisés. On voyait des bosquets
d’arbres ombreux et, çà et là, un arbre isolé taillé en forme d’animal ou
d’oiseau. Dans le bas de la colline, s’élevaient de nombreux bâtiments de
toutes dimensions, tous harmonieusement proportionnés et à bonne distance les
uns des autres. Je crus même pouvoir distinguer des gens richement habillés,
marchant dans les allées – en tout cas, c’étaient des points mouvants de
brillantes couleurs. La demeure du Seigneur Héron Rouge à Xaltocán était
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