Barnabé Rudge - Tome II
bientôt les
atteindra ; ils appelaient les agents de la prison, pour
qu'ils vinssent éteindre le feu en puisant de l'eau à la citerne
qui était dans leur cour, et pleine d'eau. À en juger du milieu de
la foule, au dehors, ces quatre condamnés ne cessaient pas un
instant d'appeler au secours, et cela avec autant de frayeur et
d'attachement frénétique à l'existence, que si chacun d'eux avait
devant lui le long espoir d'une vie heureuse et honorée, au lieu de
quarante-huit heures d'un emprisonnement misérable, suivi d'une
mort violente et infâme.
Mais rien ne saurait décrire l'angoisse et la
souffrance des deux fils d'un de ces malheureux, chaque fois qu'ils
entendaient ou croyaient entendre la voix de leur père. Après
s'être tordu les mains, en courant à droite, à gauche, comme des
fous furieux, l'un d'eux montait sur les épaules de l'autre pour
essayer de grimper jusqu'au mur élevé, surmonté dans le haut par
des piques et des pointes de fer. Et quand il retombait dans la
foule, tout meurtri qu'il était, cela ne l'empêchait pas de
remonter, de retomber ; et enfin, lorsqu'il reconnut
l'inutilité de ses tentatives, il se mit à battre les pierres pour
les déchirer avec ses mains, comme s'il pouvait par là faire brèche
dans l'épaisse muraille et s'y ouvrir de force un passage. À la
fin, ils se frayèrent, à travers la multitude, un chemin jusqu'à la
porte, quoique bien des hommes, douze fois plus forts qu'eux,
eussent en vain essayé de le faire ; et on les vit dans le
feu, oui, dans le feu, faire des efforts désespérés pour la jeter
par terre avec des leviers.
Et ils n'étaient pas les seuls à être émus par
le vacarme qui se faisait entendre de la prison. Les femmes qui
étaient là à regarder, criaient à tue-tête, frappaient leurs mains
l'une contre l'autre et se bouchaient les oreilles ; d'autres
tombaient évanouies. Les hommes qui n'avaient pu approcher de la
muraille pour prendre part au siège, plutôt que d'être là à ne rien
faire, arrachaient les pavés de la rue avec une furie et une ardeur
aussi grandes que si c'eût été la prison même et qu'ils avançassent
ainsi leur projet. Il n'y avait pas dans la foule une seule
créature qui ne fût dans une agitation perpétuelle. Toute cette
masse énorme était folle.
Un grand cri ! Encore !
encore ! sans que la plupart pussent savoir pourquoi, ni ce
que cela voulait dire. C'est que les gens qui étaient autour de la
porte l'avaient vue céder tout doucement et se détacher du gond
d'en haut. Elle n'était plus suspendue de ce côté que sur celui
d'en bas ; mais cela ne l'empêchait pas de rester encore toute
droite, soutenue derrière par la barre, et affermie par son propre
poids, qui l'avait fait enfoncer au pied, dans le tas de cendres.
On voyait maintenant par en haut une ouverture béante, à travers
laquelle se montrait un passage obscur, caverneux, sombre…
« Entassez le feu ! »
Le feu brûlait avec rage, La porte en était
toute rouge et l’ouverture s'élargissait. Ils essayaient en vain de
s'abriter le visage avec leurs mains, et, debout, tout prêts à
prendre leur élan, ils surveillaient le progrès du leur œuvre. On
voyait passer le long du toit de sombres figures, les unes rampant
sur leurs mains et leurs genoux, les autres emportées à bras. Il
était clair que la prison ne pouvait pas tenir plus longtemps. Le
gouverneur, avec ses agents, leurs femmes et leurs enfants,
s'échappaient… « Entassez le feu ! »
La porte s'enfonce encore ; elle descend
plus avant dans les cendres… elle chancelle… elle cède… la voilà
par terre !
Ils poussent un nouveau cri, reculent un pas
et laissent un espace libre entre eux et l'entrée de la prison.
Hugh saute sur le monceau de braise ardente et fait voler dans les
airs un tourbillon d'étincelles, illumine le sombre passage avec
les flammèches qui se sont attachées à ses vêtements, et s'élance
dans l'intérieur.
Le bourreau le suit. Et alors il s'en
précipite tant d'autres derrière eux, que le feu s'écrase sous
leurs pas et va joncher la rue ; mais ils n'ont plus besoin de
lui maintenant : au dedans comme au dehors, toute la prison
est en flammes.
Chapitre 23
Pendant tout le cours de la terrible scène qui
venait de finir par ce succès, il y avait dans Newgate un homme en
proie à une crainte et à une torture morale qui n'avait point de
pareille au monde, même celle des criminels condamnés à mort.
Lorsque les
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