Barnabé Rudge - Tome II
n'y eût plus de place dans la cellule. Ils le
prirent avec eux, le passèrent par la fenêtre à ceux qui se
tenaient sur les échelles, et qui le passèrent à leur tour jusque
dans la cour. Alors ils sortirent l'un après l'autre, et, lui ayant
bien recommandé de se sauver sans perte de temps, parce que,
autrement, il trouverait le passage obstrué, ils se précipitèrent
ailleurs pour en sauver d'autres.
Il lui semblait que tout cela n'avait pas duré
plus d'une minute. Il chancelait sur ses jambes, sans pouvoir
croire encore que ce fût vrai, lorsque la cour se remplit de
nouveau d'une multitude empressée qui emmenait avec elle Barnabé.
En une minute encore, peut-être moins ; à peine une
minute ; au même instant ; sans intervalle de temps… lui
et son fils étaient passés de main en main à travers la foule
épaisse amassée dans la rue, et jetaient derrière eux un coup d'œil
sur une masse de feu : quelqu'un leur dit que c’était là
Newgate.
Dès le moment où ils avaient commencé à entrer
dans la prison, les assiégeants s'étaient dispersés dans diverses
directions, s'élançant comme une fourmilière par chaque trou et
chaque crevasse, comme s'ils avaient une parfaite connaissance des
réduits les plus secrets, et qu'ils portassent dans leur tête un
plan exact des bâtiments. Il est vrai qu'ils devaient en grande
partie cette connaissance immédiate de la place au bourreau qui se
tenait dans le couloir, disant à l'un d'aller par ici, à l'autre de
tourner par là, et qui leur fut d'un grand secours pour la
merveilleuse rapidité avec laquelle fut opérée la délivrance des
prisonniers.
Mais ce fonctionnaire légal tenait en réserve
un petit bout de renseignement important qu'il gardait
précieusement pour lui-même. Quand il eut distribué ses
instructions relatives aux diverses parties de l'établissement, que
la populace se fut dispersée d'un bout à l'autre, et qu'il la vit
sérieusement à la besogne, il prit dans un placard du mur voisin un
trousseau de clefs, et s'en alla, par un corridor particulier tout
près de la chapelle, qui joignait la maison du gouverneur, et se
trouvait alors en proie à l'incendie, rendre visite aux cellules de
condamnés. C'était une série de petites chambres lugubres et bien
défendues, donnant sur une galerie basse, protégée, du côté où il
entra, par un fort guichet en fer, et à l'autre bout par deux
portes et une grille épaisse. Il ferma par-dessus lui le guichet à
double tour, et, après s'être bien assuré que les autres entrées
étaient également solidement fermées, il s'assit sur un banc dans
la galerie, et se mit à sucer la tête de sa canne avec un air de
complaisance, de calme et de satisfaction extrêmes.
C'eût été déjà bien étrange de voir un homme
se donner ce genre de plaisir avec tant de tranquillité, pendant
que la prison était en feu et au milieu du tumulte qui déchirait
l'air, quand il aurait été hors de l'enceinte des murs. Mais ici,
au cœur même du bâtiment, et, de plus, assourdi par les prières et
les cris des quatre condamnés dont les mains, étendues à travers le
grillage des portes de leurs cellules, se serraient avec frénésie
sous ses yeux pour implorer son aide, c'était une particularité
bien remarquable. C'est que, voyez-vous, M. Dennis s'était dit
apparemment que ce n'était pas tous les jours fête, et qu'il ne
fallait pas perdre cette bonne occasion de rire un peu à leurs
dépens. En effet, il s'était planté son chapeau sur le coin de
l'oreille, en vrai farceur, et suçait la tête de sa canne avec
délice, de plus en plus charmé et souriant, comme s'il se disait en
lui-même : « Dennis, Dennis, vous êtes un chien de
vaurien : le drôle de corps que vous faites ! Il n'y en a
pas deux comme vous au monde : vous êtes un vrai
original. »
Il resta comme cela sur son banc quelques
minutes, pendant que les quatre misérables dans leurs cellules,
certains d'avoir entendu entrer dans la galerie quelqu'un qu'ils ne
pouvaient pas voir, éclataient en prières aussi pathétiques et
aussi pitoyables qu'on pouvait s'y attendre de la part de
malheureux dans leur position ; suppliant l'inconnu, quel
qu'il fût, de les mettre en liberté, au nom du ciel ! et
protestant, avec une ferveur qui pouvait être vraie dans la
circonstance, qu'ils s'amenderaient, et qu'ils ne feraient plus
jamais, jamais, jamais, le mal devant Dieu et devant les hommes,
qu'ils mèneraient, au contraire,
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