Barnabé Rudge - Tome II
mutins s'étaient assemblés d'abord
devant les bâtiments, l'assassin avait été tiré de son sommeil… si
le sien mérita ce nom béni… par l'éclat des voix et le tumulte de
la foule. Il tressaillit en entendant ce bruit, et s'assit sur son
lit pour écouter.
Après un court intervalle de silence, le bruit
redoubla. Écoutant toujours d'une oreille attentive, il finit par
comprendre que la prison était assiégée par une multitude furieuse.
Aussitôt sa conscience coupable lui représenta ces gens comme
animés contre lui, et lui donna la crainte qu'ils ne vinssent
l'arracher seul de sa cellule pour le mettre en pièces.
Une fois sous l'empire de cette terrible idée,
tout semblait fait exprès pour la confirmer et la fortifier. Son
double crime, les circonstances dans lesquelles il avait été
commis, la longueur du temps qui s'était écoulé depuis la
découverte survenue en dépit de tout, faisaient de lui, pour ainsi
dire, l'objet visible de la colère du Tout-Puissant. Au milieu des
crimes, des vices, de la peste morale de ce grand lazaret de la
capitale, il était là tout seul, marqué et désigné comme victime
expiatoire de ses forfaits, un Lucifer au milieu des démons. Les
autres prisonniers n'étaient qu'une vile tourbe, occupés à se
cacher et à se dissimuler, une populace comme celle qui frémissait
dans la rue. Lui, il était l'homme, l'homme unique, en butte à
toutes ces fureurs réunies ; un homme à part, solitaire,
isolé, dont les captifs eux-mêmes s'éloignaient et se reculaient
avec effroi.
Soit que la nouvelle de sa capture ébruitée au
dehors les eût amenés tout exprès pour le tirer de là et le tuer
dans la rue, soit que ce fussent les émeutiers qui, fidèles à
quelque plan arrêté d'avance, étaient venus pour saccager la
prison ; dans l'un comme dans l'autre cas, il n'avait aucune
espérance qu'on épargnât sa vie. Chaque cri qu'ils poussaient,
chaque clameur qu'ils faisaient entendre, était un coup nouveau qui
le frappait au cœur ; à mesure que l'attaque avançait, il
devenait de plus en plus égaré par ses terreurs frénétiques ;
il essayait de renverser les barreaux qui défendaient la cheminée
pour l'empêcher de grimper par là ; il appelait à haute voix
les guichetiers pour qu'ils vinssent se ranger autour de sa cellule
et le sauver de la furie de la canaille.
« Mettez-moi si vous voulez dans un
cachot souterrain, n'importe la profondeur, je me moque bien qu'il
soit sombre ou dégoûtant, que ce soit un nid de rats ou de vipères,
pourvu que je puisse m'y cacher et m'y dérober à toute
recherche. »
Mais personne ne venait, personne ne répondait
à ses cris. Ses cris mêmes lui faisaient craindre d'attirer sur lui
l'attention, et il retombait dans le silence. De temps en temps, en
regardant par la grille de sa fenêtre, il voyait une étrange clarté
sur la muraille et sur le pavé de la cour ; cette clarté,
d'abord assez faible, augmenta insensiblement ; c'était comme
si des gardiens passaient et repassaient avec des torches sur le
toit de la prison. Bientôt l'air était tout rouge, et des brandons
enflammés venaient en tourbillonnant tomber à terre, éparpiller le
feu sur le sol, et brûler tristement dans les coins. L'un d'eux
roula sous un banc de bois et le mit en combustion. Un autre
attrapa un tuyau et s'en vint tout du long grimper sur le mur,
laissant derrière lui une longue traînée de feu. Le moment d'après,
une pluie épaisse de flammèches commença à tomber petit à petit
devant la porte, du haut de quelque partie voisine de la toiture,
apparemment incendiée.
Se rappelant que sa porte ouvrait en dehors,
il reconnut que chaque étincelle qui venait tomber sur le tas et y
éteindre sa force et sa vie, ne laissant en mourant qu'un sale
atome de plus de cendre et de poussière, aidait à l'ensevelir là
comme dans une tombe vivante. Et pourtant, quoique la prison
retentît de clameurs et du cri : « Au
secours !… » quoique le feu bondit dans l'air comme si
chaque flamme détachée avait une vie de tigre, et mugit comme si
chacune d'elles avait une voix affamée… quoique la chaleur
commençât à devenir intense et l'air suffoquant, que le bruit allât
croissant, que le danger de sa situation, ne fût-ce que de la part
de l'élément impitoyable, devint à chaque instant plus menaçant…
c'est égal, il avait peur de faire entendre de nouveau sa
voix : la foule alors pourrait se porter par là et se
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