Barnabé Rudge - Tome II
une vie honnête et pénitente, pour
réparer par leur chagrin et leur repentir les crimes qu'ils avaient
commis. L'énergie terrible de leur langage aurait ému le premier
venu. Bon ou mauvais, juste ou injuste (s'il eût été possible qu'on
homme bon et juste fût égaré là cette nuit), personne, non personne
n'aurait pu s'empêcher de les délivrer, et, laissant à d'autres le
soin de leur trouver une autre punition, personne ne se serait
refusé à les sauver de cette peine terrible et répugnante qui n'a
jamais ramené au bien une âme portée au mal, et qui en a endurci
des milliers naturellement peut-être portées au bien.
M. Dennis, qui avait été, lui, élevé et
nourri dans les principes de notre bonne vieille école, et qui
avait administré nos bonnes vieilles lois d'après notre bon vieux
système, toujours au moins une fois ou deux par mois, et cela
depuis longtemps, supportait tous ces appels à sa pitié en
véritable philosophe. À la fin pourtant, comme ces cris répétés le
troublaient dans sa jouissance, il frappa avec sa canne à l'une des
portes en criant :
« Dites-moi, voulez-vous me faire le
plaisir de vous taire ? »
Là-dessus, ils se mirent tous à vociférer
qu'ils allaient être pendus le surlendemain, et renouvelèrent leurs
supplications pour obtenir son aide.
« Mon aide ! pourquoi faire ?
dit M. Dennis, s'amusant à cogner sur les doigts de la main
qui se trouvait à la grille de la cellule la plus voisine.
– Pour nous sauver, crièrent-ils.
– Oh ! certainement, dit
M. Dennis en clignant de l'œil au mur en face, faute d'avoir
un autre compagnon à qui faire partager sa belle humeur de cette
plaisanterie goguenarde. Et vous disiez donc, camarades, qu'on doit
vous exécuter ?
– Si nous ne sommes pas relâchés ce soir,
cria l'un d'eux, nous sommes des hommes morts.
– Tenez, je vais vous dire ce que c'est,
reprit le bourreau gravement. J'ai peur, mon ami, que vous ne soyez
pas dans cet état d'esprit qui convient à votre condition, d'après
ce que je vois. On ne vous relâchera pas, ne comptez pas là-dessus…
Voulez-vous finir ce tapage indécent ? Je m'étonne que vous ne
soyez pas honteux : moi, je le suis pour vous. »
Il accompagna ce reproche d'un bon coup de
canne sur les dix doigts de chaque cellule, l'une après l'autre,
après quoi il alla reprendre son siège d'un air enchanté.
« Comment ! vous avez des
lois ? dit-il en se croisant les jambes et en relevant ses
sourcils ; vous avez des lois faites pour vous tout
exprès ; une jolie prison faite pour vous tout exprès ;
un prêtre pour votre service tout exprès ; un officier
constitutionnel nommé pour vous tout exprès ; une charrette
entretenue pour vous tout exprès… et vous n'êtes pas encore
contents !… Voulez-vous bien cesser votre tapage, vous,
monsieur, tout là-bas ? »
Un gémissement fut toute la réponse.
« Autant que je puis croire, dit
M. Dennis d'un ton demi-badin, demi-fâché, il n'y a pas un
seul nomme parmi vous. Je commence à croire que j'ai pris un côté
pour l'autre, et que je suis ici chez les dames. Et pourtant, pour
ce qui est de ça, j'ai vu bien des dames faire bonne mine à mauvais
jeu d'une manière tout à fait honorable pour le sexe… Dites donc,
numéro deux, ne grincez donc pas des dents comme ça. Jamais,
continua le bourreau en frappant la porte avec sa canne, jamais je
n'ai vu ici de si mauvaises manières jusqu'à ce jour. Tenez !
vous me faites rougir ; vous déshonorez Bailey. »
Après avoir attendu un moment quelque
justification en réponse, M. Dennis reprit d'un ton
câlin :
« Faites bien attention tous les quatre.
Je suis venu ici pour prendre soin de vous et pour veiller à ce que
vous ne soyez pas brûlés, au lieu de l'autre chose. Vous n'avez pas
besoin de faire tant de bruit, parce que vous ne serez pas trouvés
par ceux qui ont forcé la prison ; vous ne ferez que vous
égosiller inutilement. La belle avance, si vous perdez la voix
quand il vous faudra en venir au fameux speech, vous savez !
ce serait grand dommage. C'est ce que je ne cesse de leur dire
toujours pour le speech de la fin : « Donnez-moi un bon
tour de gueule, c'est ma maxime : donnez-moi un bon tour de
gueule. » C'est moi qui en ai entendu, continua le bourreau,
ôtant son chapeau pour prendre son mouchoir dans la coiffe et s'en
essuyer la face, et se recoiffant après d'un air un peu plus crâne
encore, c'est moi qui en ai
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