Barnabé Rudge - Tome II
s'épaississaient rapidement ; il fut bientôt
perdu dans leur obscurité. Cependant, ce ne fut qu'après avoir
traversé la ruelle, d'un bout à l'autre, et s'être assurée qu'il
était parti, qu'elle rentra dans sa cabane et se dépêcha de barrer
la porte et la fenêtre.
« Mère, dit Barnabé, qu'est-ce que vous
faites donc ? Où est l'aveugle ?
– Il est parti.
– Parti ! cria-t-il en sursaut. Je
voulais encore lui parler. Par où est-il allé ?
– Je ne sais pas, répondit-elle en le
prenant à bras-le-corps. Il ne faut pas sortir ce soir : il y
a des revenants et des rêves dehors.
– Ah ! dit Barnabé, frissonnant tout
bas.
– Il ne fait pas bon à bouger d'ici ce
soir, et demain nous quittons la place.
– Quelle place ? Cette cabane… avec
le petit jardin, mère ?
– Oui, demain matin au lever du soleil.
Il nous faut aller à Londres ; tâcher de nous perdre dans
cette grande cohue : on nous suivrait à la trace dans toute
autre ville : et puis, après cela, nous nous remettrons en
route pour aller chercher quelque nouveau gîte. »
Il ne fallait pas grands efforts de persuasion
pour réconcilier Barnabé avec l'idée d'un changement. Au premier
moment il était fou de joie : le moment d'après il était
accablé de chagrin, en songeant qu'il allait se séparer de ses amis
les chiens. Le moment d'après, il était plus enchanté que
jamais ; puis il frissonnait à l'idée que sa mère lui avait
parlé de revenants pour l'empêcher de sortir ce soir, et rien
n'égalait sa terreur et la singularité de ses questions. À la fin,
grâce à la mobilité de ses sentiments, il surmonta sa peur, et se
couchant tout habillé, pour être plus tôt prêt le lendemain, il
s'endormit bientôt devant le triste feu de tourbe.
La mère ne ferma pas l'œil ; elle resta
près de lui à veiller. Chaque souffle de vent qu'elle entendait au
dehors retentissait à ses oreilles comme ce pas redouté qu'elle
connaissait si bien à sa porte, ou comme cette main scélérate posée
sur le loquet ; cette nuit calme de l'été fut pour elle une
nuit d'horreur. Enfin, Dieu merci ! le jour parut. Quand elle
eut fini les petits préparatifs nécessaires pour son voyage, et
fait à genoux sa prière avec bien des larmes, elle éveilla Barnabé
qui, au premier appel, sauta gaiement sur ses pieds.
Son paquet d'habillements n'était pas bien
lourd à porter, et Grip était plutôt un plaisir qu'une gêne. Au
moment où le soleil darda sur la terre ses premiers rayons, ils
fermèrent la porte de leur maison désormais abandonnée, et
partirent. Le ciel était bleu et clair. L'air était frais et chargé
de doux parfums. Barnabé, les yeux en l'air, riait à gorge
déployée.
Mais, comme c'était un des jours qu'il avait
l'habitude de consacrer à ses grandes excursions, un des chiens, le
plus laid de tous, vint d'un bond à ses pieds et se mit à sauter
autour de lui en signe de joie. Quand il fallut faire la grosse
voix pour le faire retourner chez lui, cela coûta beaucoup à
Barnabé. Le chien battit en retraite, reculant d'un air moitié
incrédule, moitié suppliant ; puis, après avoir reculé
quelques pas, il s'arrêta.
C'était le dernier appel d'un vieux camarade,
d'un ami fidèle… repoussé désormais. Barnabé ne put supporter cette
idée, et, quand il fit de la main, en secouant sa tête, à son
compagnon de plaisir et de promenade, le dernier signe d'adieu pour
le renvoyer chez lui, il éclata en un torrent de larmes.
« Ah ! ma mère, ma mère, comme il va
avoir du chagrin, quand il viendra gratter à la porte et qu'il la
trouvera toujours fermée ! »
Il n'était pas le seul à penser au
logis ; elle-même, on voyait bien à ses yeux noyés dans les
pleurs, qu'elle ne pouvait pas l'oublier ; d'ailleurs elle ne
l'aurait pas voulu, ni pour lui, ni pour elle, quand on lui aurait
donné tout l'or du monde.
Chapitre 5
Dans le catalogue des grâces inépuisables que
le ciel a faites à l'homme, celle qui doit occuper la première
place, c'est, sans contredit, la faculté que nous avons de trouver
quelques germes de consolation dans nos plus rudes épreuves :
et ce n'est pas seulement parce qu'elle nous ranime et nous
soutient quand nous avons le plus besoin de secours ; mais
c'est aussi parce que, dans cette source de consolations, il y a
quelque chose, à ce que nous pouvons croire, qui émane de l'esprit
divin ; quelque chose de cette bonté suprême qui démêle
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