Barnabé Rudge - Tome II
la
chambre est étroit, et vous n'ignorez pas qu'il y a pour le
défendre des gens déterminés, qui feront tomber sans vie plus d'un
des votres, si vous les laissez persévérer. Faites attention à ce
que vous allez faire.
– Et moi, milord Georges, dit l'autre
gentleman, s'adressant à lui de même, j'ai besoin de vous dire,
moi, le colonel Gordon, votre proche parent, que s'il y a, dans
cette foule qui nous assourdit de ses cris, un homme, un seul homme
qui franchisse le seuil de la chambre des Communes, je donne ici ma
parole d'honneur qu'au même instant je passerai mon sabre au
travers, non pas de son corps, mais du vôtre. »
Là-dessus, ils remontèrent les marches à
reculons, le visage toujours tourné vers la foule, prirent le noble
lord mal inspiré par ses ardeurs religieuses, chacun par un bras,
l'entraînèrent par le corridor et fermèrent la porte, qu'on
entendit à l'instant barricader en dedans.
Tout cela fut si vite fait, et la mine que
faisaient les deux gentlemen, qui n'étaient pas de jeunes fous,
était si brave et si résolue, que, ma foi, les gens de l'émeute
n'étaient pas fiers et se regardaient les uns les autres d'un air
timide et chancelant. Il y en avait déjà qui se retournaient du
côté des portes. Quelques autres encore, moins hardis, criaient
qu'il n'y avait plus qu'à s'en aller, et demandaient qu'on leur
livrât passage, la confusion et la panique s'accrurent rapidement.
Gashford parlait tout bas avec Hugh.
« Eh bien ! cria ce dernier de
toutes ses forces, pourquoi donc vous en aller là-bas, vous
autres ? Où pouvez-vous donc être mieux qu'ici ? une
bonne poussade contre cette porte et une autre en même temps à la
porte d'en bas, et le tour est fait. Allons, hardi ! Quant à
la porte en dessous, laissez reculer ceux qui ont peur, et que ceux
qui n'ont pas peur rivalisent à qui passera le premier.
Tenez ! vous allez voir. »
Au même instant, il s'élança par-dessus la
rampe dans le couloir au-dessous, et il n'était pas relevé sur ses
jambes, que Barnabé était à ses côtés. Le second chapelain et
quelques membres des Communes, qui étaient là à supplier le peuple
de se retirer, se retirèrent précipitamment. Et aussitôt, poussant
un grand cri, la foule se jeta des deux côtés pêle-mêle contre les
portes, pour assiéger en règle la chambre.
En ce moment, où un second effort allait les
mettre en face de leurs ennemis sur la défensive à l'intérieur, et
faire inévitablement couler le sang dans une lutte désespérée, on
vit la foule par derrière lâcher pied, sur le bruit qui circula de
bouche en bouche, qu'un messager était allé par eau chercher des
troupes, qui, déjà se formaient en lignes dans les rues. La
populace, qui n'était pas curieuse de soutenir une charge dans les
étroits passages où elle était bloquée, se mit à s'en aller avec
autant d'impétuosité qu'elle était venue. Barnabé et Hugh furent
entraînés dans le courant, et là, à force de jouer des coudes, de
lutter à coups de poings, de piétiner sur ceux qui tombaient en
fuyant ou d'être piétinés à leur tour, ils finirent, eux et la
masse dont ils étaient entourés, par s'écouler petit à petit dans
la rue, où débouchait justement en toute hâte un gros détachement
de gardes à pied et de gardes à cheval, balayant devant eux la
place avec tant de rapidité, qu'il semblait que la populace fondait
sur leurs pas.
Au commandement de :
« Halte ! » la troupe forma ses rangs à travers la
rue. Les émeutiers, haletants et épuisés à la suite de leurs
derniers efforts pour se tirer de peine, en firent autant, mais
d'une manière irrégulière et désordonnée. L'officier qui commandait
la force armée vint à cheval en toute hâte dans l'espace qui les
séparait, accompagné d'un magistrat et d'un huissier de la chambre
des Communes, auxquels deux cavaliers s'étaient empressés de prêter
leur cheval. On lut le
Riot Act
[1] mais pas un
homme ne bougea.
Au premier rang des insurgés se tenaient
Barnabé et Hugh. Quoiqu'un avait jeté dans les mains de Barnabé,
quand il sortit dans la rue, son précieux drapeau, qui, roulé
maintenant tout autour de la hampe, avait l'air d'une canne de
géant, à voir comme il la portait haute et ferme, en se tenant sur
ses gardes. Si jamais homme, dans la sincérité de son âme, se crut
engagé dans une juste cause, et se sentit résolu à rester fidèle à
son chef jusqu'à la mort, c'était bien le pauvre
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