Barnabé Rudge - Tome II
Barnabé, inféodé à
lord Georges Gordon.
Après avoir en vain essayé de se faire
entendre, le magistrat donna l'ordre de charger, et les
horse-guards se mirent à chevaucher à travers la foule, pendant
qu'il galopait encore de côté et d'autre, pour exhorter le peuple à
se disperser ; et, quoique les soldats reçussent des pierres
assez grosses pour que quelques-uns d'entre eux fussent tout
meurtris, leurs ordres ne leur permettaient que de faire
prisonniers les insurgés les plus ardents, et d'écarter les autres
avec le plat de leurs sabres. En voyant les chevaux venir sur elle,
la foule céda sur plusieurs points, et les gardes, profitant de
leur avantage, eurent bientôt nettoyé le terrain ; cependant,
deux ou trois de ceux qui marchaient à l'avant-garde, et qui
étaient en ce moment presque isolés des autres par la foule où ils
s'étaient engagés, poussèrent droit à Hugh et à Barnabé, que sans
doute on leur avait désignés comme les deux hommes qui s'étaient
élancés d'en haut dans le couloir. Ils avançaient donc petit à
petit, donnant aux plus mutins, sur leur route, quelques
estafilades légères, qui jetaient par-ci par-là quelque blessé dans
les bras de ses camarades, au milieu des gémissements et de la
confusion.
À la vue de ces figures effrayées et
sanglantes, qu'il aperçut un moment devant lui, avant qu'elles
eussent disparu dans la foule, Barnabé devint pâle et se sentit
faillir le cœur. Mais il n'en resta pas moins ferme à son poste,
serrant dans son poing le drapeau, et tenant l'œil fixé sur le
soldat le plus voisin, avec quelques signes de tête qu'il faisait à
Hugh. en réponse aux conseils que ce mauvais génie lui soufflait à
l'oreille.
Le soldat donna de l'éperon, fit reculer son
cheval sur les gens qui le pressaient de tous côtés, distribuant
avec son sabre quelques coups de manchette à ceux qui portaient les
mains sur la rêne pour arrêter son coursier, et faisant signe à ses
camarades de venir à son aide, pendant que Barnabé, sans reculer
d'une semelle, attendait sa venue. Plusieurs insurgés lui crièrent
de se sauver, d'autres s'approchaient de lui pour le faire
échapper, quand la hampe du drapeau s'abaissa sur leurs têtes, et,
le moment d'après, la selle du cavalier était vide.
Alors Hugh et lui firent demi-tour et
s'enfuirent à travers la foule qui leur livra passage et le ferma
bien vite, pour qu'on ne vit pas par où ils s'étaient enfuis ;
hors d'haleine, échauffés, couverts de poussière, ils arrivèrent au
bord du fleuve sains et saufs, et montèrent dans un bateau qui les
eut mis bientôt à l'abri de tout danger immédiat.
En descendant le fleuve, ils entendaient
distinctement les applaudissements du peuple, et même, supposant
que peut-être ils avaient forcé par ce trait d'audace la troupe à
battre en retraite, ils restèrent un moment suspendus sur leurs
rames, ne sachant s'ils devaient revenir ou non. Mais la populace,
en passant sur le pont de Westminster, ne tarda pas à leur assurer
que le rassemblement était dispersé, et Hugh, ayant conjecturé des
applaudissements de tout à l'heure que c'était une acclamation de
la multitude pour remercier le magistrat d'avoir renvoyé la force
armée, à la condition expresse que chacun s'en retournerait
tranquillement chez soi, et que, par conséquent, lui et Barnabé ne
pouvaient pas mieux faire que de s'en aller aussi, résolut de
descendre avec Barnabé jusqu'à Blackfriars, au bout du pont, et de
gagner de là l'hôtel de la Botte, où ils étaient sûrs de trouver,
non seulement bon vin et bon logis, mais certainement aussi
quelques camarades qui viendraient les rejoindre. Barnabé y
consentit, et ils se mirent à ramer vers Blackfriars.
Heureusement pour eux, ils arrivèrent au bon
moment. Il était temps. En entrant dans Fleet-Street, ils
trouvèrent toute la rue en révolution ; et, quand ils en
demandèrent la cause, on leur dit qu'il venait de passer un
détachement de horse-guards au galop, escortant à Newgate quelques
insurgés prisonniers, qu'on allait coffrer là. Bien contents
d'avoir échappé par bonheur à cette cavalcade, ils ne perdirent pas
de temps à faire plus de questions, et se rendirent à la Botte
aussi vite qu'ils purent ; Hugh pourtant modérant le pas, par
prudence, pour ne pas se compromettre en attirant sur eux
l'attention du public.
Chapitre 8
Ils avaient été des premiers à gagner la
taverne ; mais il n'y avait pas dix minutes
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