Ben-Hur
royaume sera semblable à celui de Salomon, et moi je suis prêt à accomplir le dessein en vue duquel Dieu a dirigé ma vie comme il l’a fait et m’a donné cette fortune extraordinaire, mais tout cela ne me dit pas ce que je dois faire. Irons-nous de l’avant comme des aveugles ? Attendrons-nous que le roi paraisse ou qu’il me fasse chercher ? Tu as de l’âge et de l’expérience, réponds-moi.
– Nous n’avons pas le choix, répondit Simonide. Cette lettre, – il tirait la dépêche de Messala de sa ceinture tout en parlant, – cette lettre est le signal de l’action. Nous ne sommes pas assez forts, maintenant, pour résister à l’alliance conclue entre Messala et Gratien. Si nous tardons, ils te tueront. Je sais quelle miséricorde on peut attendre d’eux.
Il frissonnait au souvenir terrible que la pensée de la persécution éveillait en lui, puis il ajouta :
– Te sens-tu assez fort pour accomplir ta résolution envers et contre tout, mon maître ? Je me souviens combien au temps de la jeunesse le monde vous sourit…
– Et cependant tu as été capable d’accomplir un grand sacrifice, dit vivement Ben-Hur.
– Oui, mais l’amour me soutenait.
– Ma vie ne saurait-elle être dominée par des motifs aussi puissants ?
Simonide secoua la tête.
– Il y a l’ambition.
– L’ambition est défendue aux fils d’Israël.
– Et que dis-tu donc de la soif de vengeance ?
Ces paroles firent sur le caractère passionné du marchand l’effet d’une étincelle, tombant sur des matières inflammables. Ses yeux brillaient, ses mains se crispaient et il s’écria d’une voix vibrante :
– La vengeance est un droit pour le Juif, – c’est la loi.
– Oui, exclama Ilderim, un chameau, un chien même, se souvient des torts dont il a eu à se plaindre.
– Il y a quelque chose à faire pour le roi, avant même qu’il paraisse. Nous savons qu’Israël sera sa main droite, mais c’est une main paisible, ignorant comment l’on fait la guerre. Parmi les millions de Juifs il n’y a pas une troupe de soldats bien dressés, pas un capitaine, car je ne compte pas les mercenaires d’Hérode, qui ne sont là que pour nous écraser. Nous sommes ce que les Romains nous ont faits, mais le moment est venu où tout cela doit changer ; il est temps que les bergers revêtent l’armure et s’arment de la lance et de l’épée ; il est temps que les troupeaux qui s’en vont brouter l’herbe des collines deviennent des lions dévorants. Il faut que quelqu’un occupe la première place aux côtés du roi, mon fils, – qui serait-ce, si ce n’est celui qui saura opérer cette transformation ?
– Je te comprends, dit Ben-Hur, le visage en feu, mais exprime-toi plus clairement et dis-moi comment je devrai accomplir le travail que tu m’imposes.
– Le cheik t’aidera, mon maître, il aura lui aussi un grand rôle à jouer dans les événements qui se préparent. Je resterai ici, travaillant comme je l’ai fait dans le passé, et veillant à ce que les sources de ta fortune ne tarissent point. Tu te rendras à Jérusalem et de là au désert et tu procéderas au dénombrement des combattants d’Israël et à leur partage en troupe de dix et de cent hommes ; tu choisiras des capitaines et tu les exerceras, dans des endroits cachés : tu leur enseigneras à se servir des armes que je te fournirai. Tu commenceras par la Pérée, puis tu iras en Galilée, d’où il n’y a qu’un pas à faire pour atteindre Jérusalem. En Pérée le désert sera derrière toi et Ilderim à portée de ta main. Il surveillera les routes, afin que personne n’y passe sans que tu en aies connaissance. Il t’aidera de bien des manières. Jusqu’au jour de la moisson nul ne se doutera de ce que nous préparons. J’ai parlé à Ilderim, et toi, que répondras-tu ?
Ben-Hur regardait le cheik d’un air interrogateur.
– Il dit vrai, fils de Hur, répondit l’Arabe, je lui ai donné ma parole et il s’en contente, mais toi tu auras mon serment, par lequel je t’engagerai non seulement ma personne, mais ma tribu tout entière et toutes mes possessions, autant que tu en auras besoin.
Simonide, Ilderim, Esther, attendaient en retenant leur souffle la réponse de Ben-Hur.
– Chaque homme, dit-il enfin tristement, a ici-bas une coupe de bonheur qui lui est destinée et dans laquelle, tôt ou tard, il peut tremper ses lèvres, – chaque homme, excepté
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