Ben-Hur
m’en vais, c’est poussé par la nécessité, rester ici serait m’exposer à y mourir ; et je ne pourrais pas davantage retourner à Rome ; une coupe empoisonnée, le stylet d’un bravo, la sentence d’un juge, obtenue par un parjure, me feraient disparaître. Messala et Gratien se sont enrichis en pillant les propriétés de ma famille, ils tiennent à les conserver. Il ne peut être question, entre nous, d’un arrangement à l’amiable, car il équivaudrait de leur part à une confession. D’ailleurs, Esther, si je pouvais les acheter, je ne le ferais pas ; je ne crois pas la paix possible pour moi ; non, pas même dans les vertes retraites et sous les porches de marbre de ma villa. La paix sera un vain mot pour moi tant que je n’aurai pas retrouvé les objets de mon affection. Si je les retrouve, ceux qui ont causé leurs maux ne devront-ils pas souffrir à leur tour ? Si elles sont mortes de mort violente, pourrais-je laisser échapper leur meurtrier ? Oh ! si je m’endormais, je n’aurais que des rêves troublés ; non, rien, pas même le plus saint des amours, ne réussirait à me procurer un repos que ma conscience ne me reprochât pas !
– Ne peut-on rien faire pour toi ? lui demanda-t-elle d’une voix désolée.
– Prends-tu donc tant d’intérêt à ce qui me touche ?
– Oui, répondit-elle simplement.
Il prit sa petite main tremblante et la porta à ses lèvres.
– Tu seras pour moi une autre Tirzah, Esther.
– Qui est Tirzah ?
– La petite sœur que les Romains m’ont enlevée et qu’il faut que je retrouve, avant de songer à être heureux.
À cet instant un rayon lumineux, parti de l’extrémité de la terrasse, vint tomber sur eux ; ils se retournèrent et aperçurent un domestique qui poussait devant lui le fauteuil de Simonide. Ils s’avancèrent à sa rencontre et ne reprirent pas leur causerie intime.
Pendant ce temps la galère tournait lentement sur elle-même, à la clarté des torches et au bruit des cris joyeux des matelots ; puis elle s’avança vers la pleine mer, laissant Ben-Hur définitivement lié à la cause du Roi qui devait venir.
La veille du jour fixé pour les jeux, dans l’après-midi, le quadrige d’Ilderim fut conduit à la ville et logé à proximité du cirque. Le cheik emmenait encore avec lui ses serviteurs, montés et armés, des chevaux, du bétail, des chameaux chargés de bagages. Son départ du jardin des Palmes ressemblait à la migration d’une tribu entière, aussi tous ceux qui rencontraient cette bizarre procession se mettaient-ils à rire ; mais le cheik, malgré l’irascibilité de son caractère, ne s’en offensait pas. Il se sentait surveillé et se disait qu’il lui était égal que la ville entière s’amusât à ses dépens, car le vieil Arabe savait qu’un homme n’est jamais plus en sûreté qu’au moment où l’on se moque de lui. D’ailleurs, le lendemain tout ce pompeux étalage, toutes ces richesses, à l’exception de ce qui lui paraîtrait nécessaire au succès de ses arabes, serait en route pour le désert. Ses tentes étaient pliées, le douar n’existait plus ; douze heures plus tard, tout ce dont il se composait serait à l’abri des poursuites.
Ni lui, ni Ben-Hur ne s’exagéraient l’influence de Messala ; ils pensaient cependant que, dès après les courses, il fallait s’attendre à tout de sa part, car s’il était battu par le jeune Juif, il prendrait immédiatement des mesures contre eux, sans attendre les conseils de Gratien. Ils se préparaient, en conséquence, à lui échapper sans tarder, et, en attendant, ils chevauchaient côte à côte, sûrs du succès pour le lendemain.
Ils rencontrèrent en route Malluch, qui guettait leur arrivée. Ils échangèrent les salutations de rigueur, puis il sortit des plis de ses vêtements un papier qu’il remit au cheik en disant :
– J’ai ici le programme des courses, tel qu’il vient d’être publié. Tu y trouveras tes chevaux mentionnés en leur place. Permets, bon cheik, que je te félicite d’avance de ta victoire. Toi aussi, fils d’Arrius, reçois mes félicitations. Rien ne peut plus empêcher ta rencontre avec Messala. Toutes les conditions requises pour participer aux courses ont été remplies, je m’en suis assuré moi-même.
– Je te remercie, Malluch, répondit Ben-Hur.
– Ta couleur est le blanc, reprit Malluch, celle de Messala, rouge et or.
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