Ben-Hur
et paraissait si vaste, ses fondations semblaient si solides, qu’il se demandait par quel moyen il arriverait à délivrer sa mère, si c’était bien là qu’on l’avait ensevelie vivante. Il ne pouvait être question d’employer la force, l’énorme forteresse aurait pu se rire des attaques d’une armée entière. L’habileté le servirait mieux peut-être, mais les plus habiles échouent souvent dans leurs desseins, et Dieu, – le dernier recours des désespérés, – Dieu est parfois bien lent à agir.
Tourmenté par le doute et la crainte, il s’engagea dans la rue qui passait devant la façade de la citadelle. Son cœur le poussait irrésistiblement vers son ancienne demeure ; il voulait la revoir avant de se rendre à l’hôtellerie, où il comptait habiter pendant son séjour à Jérusalem.
L’antique et solennel salut que les rares passants lui adressaient n’avait jamais résonné avec plus de charme à ses oreilles. Il cheminait à la lumière argentée de la lune qui venait de se lever ; les tours du mont de Sion, éclairées par sa pâle clarté, attiraient ses regards.
Enfin il arriva devant la maison de son père et s’arrêta près de la porte du nord. On voyait encore les traces de la cire avec laquelle elle avait été scellée huit ans auparavant, et sur les lourds battants de chêne, on lisait toujours ces mots : Ceci est la propriété de l’Empereur.
Personne n’avait plus franchi cette porte depuis le jour affreux de sa séparation d’avec les siens. Allait-il essayer d’y frapper comme autrefois ? Il savait que ce serait inutile, mais la tentation était trop forte pour qu’il pût y résister. Amrah l’entendrait peut-être et viendrait regarder par une des fenêtres qui donnaient de ce côté. Il prit une pierre, monta sur la large marche qui conduisait à la porte et frappa trois coups. L’écho seul lui répondit. Il essaya de frapper plus fort, en s’arrêtant entre chaque coup pour écouter ; rien ne venait interrompre le silence profond dans lequel toute la maison restait plongée. Il redescendit dans la rue et inspecta toutes les fenêtres ; rien de vivant ne s’y montrait, le parapet du toit se dessinait clairement sur le ciel ; personne n’aurait pu se pencher par-dessus sans qu’il le vît et il ne voyait absolument rien.
Il fit le tour de la maison pour atteindre la porte du sud. Elle était aussi scellée et portait la fatale inscription, dont la douce splendeur de la lune d’août faisait clairement ressortir chaque lettre. À sa vue, il fut pris d’un accès de rage, mais tout ce qu’il put faire pour lui donner essor, ce fut d’arracher les clous qui maintenait le placard en place et de le lancer dans le fossé, après quoi il s’assit sur le perron de pierre, et pria que le nouveau Roi ne tardât pas à paraître. Peu à peu il se calma ; insensiblement il cédait à la fatigue causée par son long voyage et par la chaleur : sa tête se pencha jusque sur la pierre et il s’endormit.
En ce moment même, deux femmes descendaient la rue, venant de la tour Antonia ; elles approchaient du palais des Hur. Elles marchaient à pas furtifs et s’arrêtaient souvent pour écouter. À l’angle de cette massive construction, l’une d’elles dit à l’autre à demi-voix :
– C’est ici, Tirzah !
Tirzah, après avoir jeté un regard autour d’elle, prit la main de sa mère et s’appuya sur elle en pleurant.
– Continuons notre chemin, mon enfant, dit la mère en tremblant ; quand viendra le matin, on nous chassera de la ville et nous n’y reviendrons jamais.
Tirzah se laissa tomber sur les pierres de la rue.
– Ah ! murmurait-elle d’une voix entrecoupée par les sanglots, il me semblait que nous rentrions à la maison, j’oubliais que nous sommes des lépreux ! nous n’avons plus de maison, notre place est avec les morts !
Sa mère la releva avec tendresse en lui disant :
– Nous n’avons rien à craindre, viens, ma fille.
Qu’eussent-elles craint, en effet ? Rien qu’en étendant leurs mains vides devant elles, elles auraient fait reculer une légion.
Pareilles à deux fantômes, elles glissaient le long de la muraille, et quand elles arrivèrent devant la porte elles montèrent sur la pierre, sans se douter qu’elles auraient pu y trouver encore l’empreinte des pas de Ben-Hur et lurent l’inscription : Ceci est la propriété de l’Empereur.
– Tirzah,
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