Ben-Hur
précipités.
– Ce prince était marchand, il avait le génie des affaires et s’occupait de grandes entreprises commerciales, en Orient et en Occident. Dans toutes les villes importantes il avait fondé des comptoirs. Celui d’Antioche était dirigé par un de ses anciens serviteurs, Simonide, Grec de nom, mais Israélite de naissance. Son maître périt en mer, cependant ses affaires continuèrent et n’en devinrent pas moins prospères. Après quelques années, le malheur fondit sur la famille du prince. Son fils unique, encore jeune, tenta de tuer le procureur Gratien, dans une des rues de Jérusalem. Il manqua son but de peu et, dès lors, nul n’a plus entendu parler de lui. La fureur du Romain s’étant déchaînée sur toute sa maison, aucun de ceux qui portait son nom n’est plus en vie. Les portes de leur palais ont été scellées ; il ne sert plus que de refuge aux pigeons, et tous leurs biens ont été confisqués. Le gouvernement a pansé la plaie avec un onguent doré.
Les passagers se mirent à rire.
– Il aurait donc gardé toutes ces propriétés pour lui ! s’écria l’un deux.
– On le dit, répliqua l’Hébreu, je ne fais que vous rapporter les choses telles qu’elles m’ont été racontées. Or donc, peu après que tout cela fut arrivé, Simonide, l’agent du prince à Antioche, a ouvert, en son nom, un comptoir et, dans un laps de temps incroyablement court, il est devenu le principal marchand de la ville. À l’exemple de son maître, il envoie des caravanes aux Indes et il possède maintenant des galères en nombre suffisant pour former une flotte royale. On dit que tout lui réussit. Ses chameaux ne meurent que de vieillesse, ses vaisseaux ne font jamais naufrage ; s’il jetait un copeau dans la rivière il lui reviendrait changé en or.
– Depuis quand travaille-t-il pour son propre compte ?
– Depuis moins de dix ans.
– Il faut qu’il ait eu, au début, d’importants capitaux à sa disposition.
– On assure que le procurateur a réussi à s’emparer seulement des immeubles du prince, ainsi que de ses bêtes de somme, de ses vaisseaux et de ses marchandises. Jamais il n’a pu mettre la main sur son argent et cependant il devait posséder des sommes importantes. Ce qu’elles sont devenues est demeuré un mystère.
– Pas à mes yeux, dit un des passagers, en ricanant.
– D’autres ont eu la même idée que toi, répondit l’Hébreu, et l’on pense généralement que cette fortune est la source de celle de Simonide. Le gouverneur partage cette opinion, ou du moins la partageait, car deux fois, dans l’espace de cinq ans, il a fait arrêter le marchand et l’a fait mettre à la torture.
La main de Juda se crispa sur la corde à laquelle il se tenait.
– On dit, continua le narrateur, qu’il n’y a pas dans tout le corps de cet homme un os intact. La dernière fois que je le vis il n’était plus qu’une masse informe ; il était assis entre des coussins, le soutenant de tous côtés.
– C’est la torture qui l’a mis dans cet état ? s’écrièrent plusieurs voix.
– La maladie n’aurait pu produire semblables effets, mais la souffrance n’a pas eu raison du marchand. Tout ce qu’il a été possible de tirer de lui, c’est que sa fortune lui appartenait légalement et qu’il en faisait un usage légal. Maintenant il n’a plus à craindre la persécution, il a une patente de commerce, signée par Tibère lui-même.
– Il doit l’avoir chèrement payée.
– Ces vaisseaux lui appartiennent, continua l’Hébreu, sans relever cette remarque. Ses matelots ont coutume, lorsqu’ils se rencontrent, de hisser un pavillon jaune, comme pour se dire mutuellement : Nous avons fait un heureux voyage.
Le récit de l’Hébreu se terminait là, mais un peu plus tard Ben-Hur le questionna de nouveau.
– Comment donc, lui dit-il, appelais-tu le maître de ce marchand ?
– Ben-Hur, prince de Jérusalem.
– Qu’est devenue sa famille ?
– Le fils a été envoyé aux galères. Il doit y être mort, une année est la limite moyenne de la vie d’un rameur. On n’a plus entendu parler de sa veuve et de sa fille : ceux qui savent leur histoire gardent bien leur secret. Elles sont probablement mortes dans un cachot de l’un ou l’autre des châteaux forts placés au bord des grands chemins de Judée.
Juda, absorbé par ce qu’il venait d’entendre, ne prêtait pas grande attention
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