Ben-Hur
l’ordre le plus parfait. Malgré une demi-obscurité et une chaleur étouffante, des ouvriers y travaillaient, sciaient des planches, clouaient des caisses, et Ben-Hur se demandait, tout en se frayant lentement un chemin dans cette ruche bourdonnante, si l’homme au génie duquel tout ce qu’il voyait rendait hommage pouvait avoir été un esclave. Était-il né dans la servitude ou bien était-il le fils d’un débiteur ? Avait-il payé de sa personne ses propres dettes, ou été vendu pour cause de vol ? Toutes ces questions, à mesure qu’elles se présentaient à sa pensée, ne l’empêchaient pas d’éprouver une sincère admiration pour le marchand qui avait su créer une maison de commerce comme celle-là. Un homme s’approcha de lui et s’informa de ce qu’il désirait.
– Je voudrais voir Simonide, le marchand.
– Viens par ici, répondit l’employé, qui le précéda le long d’un labyrinthe d’étroits passages, ménagés entre de grands amoncellements de ballots et lui fit ensuite gravir un escalier, par lequel ils gagnèrent le toit de l’entrepôt. Au fond s’élevait une seconde maison, plus petite, que l’on ne pouvait apercevoir d’en bas. Elle avait l’aspect d’un énorme bloc de pierre carré, et tout à l’entour le toit avait été transformé en un jardin, où brillaient les plus belles fleurs. Un sentier, bordé de rosiers de Perse en pleine floraison, conduisait à une porte ouvrant sur un passage sombre ; le guide de Ben-Hur s’arrêta devant un rideau demi-fermé et cria :
– Voici un étranger qui désire voir le maître.
– Qu’il entre, au nom de Dieu, répondit une voix claire.
Un Romain aurait appelé l’appartement dans lequel Ben-Hur venait d’être introduit son atrium. Des étagères de bois, sur les rayons desquels s’entassaient des rouleaux de parchemin, soigneusement étiquetés, garnissaient ses murailles. Une corniche dorée courait tout autour de la salle ; elle servait de base à une voûte, terminée par un dôme, formé de plaques de mica, légèrement teintées de violet, qui laissaient pénétrer dans l’appartement un flot de lumière douce et reposante. Sur le plancher s’étendait un tapis de peaux de blaireau, si épais que les pieds y enfonçaient sans faire le moindre bruit.
Au milieu de la chambre se trouvaient deux personnes, un homme assis entre deux coussins dans un large siège à haut dossier, et une jeune fille, debout à côté de lui. À leur vue, Ben-Hur sentit tout son sang affluer à son visage ; il s’inclina profondément, autant pour se donner le temps de se remettre qu’en signe de respect, ce qui l’empêcha de remarquer que le marchand, en l’apercevant, avait tressailli sous l’empire d’une émotion évidente, mais vite réprimée. Quand il releva la tête, la position du père et de la fille était toujours la même. Ils le regardaient fixement tous les deux.
– Si tu es bien Simonide le marchand et si tu es Juif – ici Ben-Hur s’arrêta un instant – que la paix du Dieu de notre père Abraham soit avec toi et avec les tiens !
– Je suis Simonide, Juif par droit de naissance, dit le marchand d’une voix singulièrement claire, et je te rends ta salutation, en te priant de m’apprendre qui tu es.
Ben-Hur le regardait, tout en l’écoutant. Son corps n’était qu’une masse informe, recouverte d’une robe ouatée, en soie de couleur foncée. Sa tête avait des proportions royales ; c’était l’idéal d’une tête d’homme d’État ou de conquérant. Ses cheveux blancs, qui retombaient en mèches frisées sur son visage pâle, accentuaient le sombre éclat de ses yeux. Son expression était celle d’un homme qui eût fait plier le monde plus aisément qu’on ne l’aurait fait plier lui-même, qui se serait laissé torturer douze fois plutôt que de se laisser arracher un aveu, – d’un homme, enfin, né avec une armure et vulnérable seulement dans ses affections.
– Je suis Juda, fils d’Ithamar, le chef défunt de la maison d’Hur, s’écria le jeune homme, en tendant les mains vers lui.
La main droite du marchand, une main longue, étroite, désarticulée et déformée, se ferma convulsivement ; à part cela, rien dans sa personne n’exprima la moindre surprise et ce fut d’un ton calme qu’il répondit :
– Les princes de Jérusalem sont toujours les bienvenus dans ma maison. Donne un siège à ce jeune homme, Esther.
Elle
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