Berlin 36
d’un air pensif, puis dit à mi-voix comme s’il craignait d’être entendu :
— Entre nous, Herr Doktor , je me demande parfois si l’organisation de cette manifestation en vaut vraiment la peine !
Le ministre sursauta. Etait-il possible que le Führer lui-même doutât de l’utilité du projet ?
— Sauf votre respect, mein Führer , les Jeux sont un accessoire de propagande sans équivalent dans l’histoire du monde. Ils sont aussi importants sur le plan politique que sur le plan économique : ils seront l’occasion d’une publicité destinée à véhiculer une image positive de l’Allemagne nouvelle et à servir nos objectifs nationaux… Votre prestige et celui du parti s’en trouveront assurément grandis !
— Soit, mais je veux des médailles. Il ne suffira pas de réussir la messe, il faudra aussi que le monde prenne conscience de la supériorité de nos athlètes.
— Soyez sans crainte, mein Führer. Nous avons d’excellents éléments.
Hitler haussa les épaules, l’air dubitatif.
— Et le stade ?
— Il avance, mein Führer . Vous avez eu raison de refuser la modification des installations anciennes et d’ordonner l’édification d’un nouveau complexe sportif.
— Wir wollen bauen ! Nous voulons construire ! Cette oeuvre doit donner au monde, par sa grandeur, sa rationalité et sa clarté, l’exemple du zèle et de l’énergie permanents du peuple allemand.
— La nouvelle installation, ajouta Goebbels, est construite comme une arène pour les combattants d’élite. Le stade et le forum des sports seront des sites où les Allemands pourront être éduqués de manière à devenir des hommes et des femmes énergiques.
— Le style impérial romain que l’architecte Werner March a donné à l’ensemble convient tout à fait, observa le Führer. Il faudra y ajouter des statues colossales d’Arno Breker ou de Joseph Thorak qui traduisent remarquablement les idéaux du nazisme et de la race nouvelle.
— Elles sont en cours de réalisation, assura Goebbels. Le résultat est impressionnant !
— Et l’affiche des Jeux ? Est-elle terminée ?
— Voici un premier essai, réalisé par Frantz Würbel, répondit le ministre en déployant sur la table une grande feuille ornée des cinq anneaux olympiques, où était représenté un athlète de type aryen, le front cerclé de palmes, derrière un détail du monument de la porte de Brandebourg : la déesse de la Victoire, debout sur son quadrige.
— L’idée de l’athlète grec est bonne, observa le Führer. Elle s’accorde avec le nom que j’ai choisi pour le stade : Olympiastadion. Je tiens beaucoup à cette parenté helléno-germanique.
— Vous avez raison, renchérit Goebbels d’un ton obséquieux. L’image de l’athlète grec portant des palmes évoque Héraclès qui rapporta une couronne de lauriers des rives du Danube. Elle rappelle que, dans l’Antiquité déjà, les pays nordiques étaient liés à la fête olympique !
La main sur son ceinturon, le maître du III e Reich hocha la tête d’un air approbateur.
— On m’a suggéré d’ajouter le svastika sur l’affiche, ajouta le ministre, mais j’ai jugé qu’il valait mieux s’abstenir pour ne pas mécontenter le CIO.
— Vous avez bien fait, Herr Doktor . Restons discrets. Pendant les Jeux, nous aurons sur place les journalistes du monde entier. Il faudra les étonner, certes, mais dissimulons autant que possible les slogans qui risqueraient de les effaroucher…
Le ministre de la Propagande sourit. Hitler songeait sans doute aux affiches antisémites placardées dans les rues et aux théories raciales élaborées par le régime pour démontrer la supériorité allemande. Bien qu’il ne correspondît pas lui-même au type aryen, avec ses cheveux noirs et son teint mat qui l’avaient fait traiter de « rabbin », jadis, par ses condisciples, Goebbels pensait que la question de la pureté raciale – la race nordique et aryenne au-dessus des Juifs et des Noirs – était essentielle pour flatter l’orgueil du peuple allemand et l’unifier contre un bouc émissaire commun.
— Vous voulez parler des slogans contre les Juifs et les Nègres ? fit-il d’un air ingénu.
Hitler hocha la tête.
— Vous m’avez bien compris, Herr Doktor . Mais cela ne suffit pas : il nous faudra obtenir des cautions morales.
— Nous en avons déjà plusieurs ! Vos décisions de maintenir à la tête du Comité olympique
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