Berlin 36
précautions.
— Je vois que vous avez prévu un comité d’accueil, ironisa le sportif.
— Nous n’avons pas de temps à perdre, répliqua Baumeister d’un ton glacial. Emportez vos affaires et suivez-nous !
Werner gagna sa chambre et fourra dans son sac de sport un pyjama et du linge propre. La fenêtre ouverte lui donna envie de s’échapper. Mais il se ravisa. A quoi bon devenir un hors-la-loi ? Il n’avait commis aucun crime ! Il entra dans la chambre de son père qui dormait encore. Que lui dire ? Il préféra ne pas le réveiller et lui laissa un mot sur sa commode.
— Schnell ! s’écria Baumeister, à bout de patience, en dégainant son Parabellum pour mieux intimider le lutteur.
Werner sortit de sa maison et monta à bord d’une des voitures.
— Que me voulez-vous ? demanda-t-il à l’inspecteur qui s’était assis à ses côtés.
— Il est dommage qu’un grand sportif comme vous se fourvoie. Nous savons tout de vos activités…
Werner tressaillit. Avait-on découvert ses liens avec l’Uhrig Group ?
— Nous savons que vous vous êtes converti au communisme lors d’un voyage à Moscou il y a quatre ans et que vous êtes membre du KPD 1 .
— Je ne suis pas le seul, objecta le lutteur.
— Oui, mais votre récente attitude en public risque de vous coûter cher, très cher…
La voiture s’arrêta devant la Columbia Haus, près de l’aéroport de Tempelhof. L’endroit, de sinistre réputation, était réservé aux opposants et aux espions. Une heure durant, Baumeister interrogea le lutteur sans relâche. Mais Werner ne révéla rien. A bout de patience, l’inspecteur sortit de la pièce et fit signe à un jeune policier de le remplacer.
— Vous… vous êtes le fameux Werner Seelenbinder ? lui demanda-t-il d’une voix émue.
— Lui-même !
— Je vous ai toujours admiré… J’ai votre photo collée sur un mur de ma chambre… Ne vous en faites pas, vous serez libéré bientôt. Je donnerai des instructions pour qu’on vous traite avec les égards qui vous sont dus.
— Etes-vous sûr qu’ils vont me relâcher ?
— Sûr et certain ! Mais ils risquent de vous interdire de participer aux compétitions nationales et internationales…
Werner eut un sourire narquois.
— Je ne le crois pas.
— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? fit le policier en levant les sourcils.
— Ils ne pourront pas se passer de moi, répliqua Werner avec crânerie. Je suis leur meilleur champion !
1 - Kommunistische Partei Deutschlands : Parti communiste allemand.
12
Où Hitler et Goebbels
mènent en bateau l’émissaire américain
et évoquent les préparatifs des Jeux
Goebbels invita le général Charles Sherrill à patienter.
— Le Führer sera à vous dans cinq minutes, lui assura-t-il.
Il alla à la fenêtre et l’ouvrit. Etait-ce la chaleur de ce mois d’août à Munich ou l’angoisse qui le faisait transpirer ? Cette réunion avec le délégué américain du CIO était cruciale. Des voix continuaient à s’élever pour réclamer le boycott. Il importait de réduire au silence cette campagne qui, selon lui, était « inspirée par les communistes et financée par les Juifs ». L’appui de dirigeants sportifs comme le comte de Baillet-Latour, Avery Brundage ou le général Sherrill, considéré comme un « anticommuniste et fasciste notoire », était précieux dans cette tentative de duper l’opinion publique en lui faisant croire que les Jeux seraient dépolitisés.
Le Führer entra, sanglé dans sa vareuse grise et coiffé de sa casquette frappée de l’aigle et de la croix gammée. Goebbels se sentit transporté de joie, comme chaque fois qu’il rencontrait son chef. Il aimait le personnage, le vénérait. « Ces grands yeux bleus, songea-t-il. Comme des étoiles. Cet homme a tout pour être roi. » Avec un « Heil Hitler ! » bien scandé, il le salua en tendant le bras droit.
— Veuillez prendre place, messieurs.
Goebbels et Sherrill obéirent.
— Que me vaut l’honneur de votre visite ? demanda Hitler.
L’Américain toussota.
— Pardonnez-moi, monsieur le Chancelier, si, au cours de notre entretien, j’aborde des questions déplaisantes. Je ne les soulève qu’en tant qu’ami de l’Allemagne et du Parti national-socialiste, et dans le seul but d’épargner des désagréments à votre gouvernement.
— Je vous en prie, général.
— Voilà. Comme vous le savez, de nombreuses
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