Berlin 36
allemand le secrétaire d’Etat Theodor Lewald, bien que son père soit israélite, et de nommer Carl Diem au poste de secrétaire général des Jeux alors qu’il est issu d’une famille juive convertie au catholicisme ont été bien accueillies. A l’extérieur, nous pouvons aussi compter sur de nombreux amis, comme Edström, le président de la Fédération internationale d’athlétisme, Avery Brundage, le président du Comité olympique américain, et le général Sherrill, que vous venez de rencontrer…
— Cela ne suffit pas, répéta le Führer en frappant sa paume avec son poing. Il nous faut trouver une personnalité encore plus marquante, plus symbolique.
— A qui pensez-vous ? demanda Goebbels en fronçant les sourcils.
— Au baron de Coubertin, répondit Hitler. Pierre de Coubertin.
13
Où l’on assiste à un « attentat »
contre Leni Riefenstahl
Il faisait bon ce matin-là dans la forêt de Grunewald. Bordé à l’ouest par la Havel et, à l’est, par de petits lacs, traversé de longues allées ombragées, l’endroit était calme et plaisant à la fois. Comme chaque jour, Leni Riefenstahl s’y entraînait dans l’espoir de décrocher l’insigne de la pratique sportive décerné sur concours aux athlètes méritants.
Tandis qu’elle s’exerçait au saut en hauteur, un homme en costume s’approcha d’elle et souleva son chapeau, dévoilant une calvitie à peine dissimulée par un toupet de cheveux blancs.
— Je m’appelle Carl Diem, commença-t-il.
— Enchantée, dit-elle sans s’arrêter de faire des exercices.
— J’ai beaucoup entendu parler de vous, Fraülein Riefenstahl. Votre film Triomphe de la volonté est un chef-d’oeuvre du genre !
— Vous êtes trop aimable, répondit-elle en tapotant ses espadrilles pour en faire tomber le sable. Que me vaut l’honneur de votre visite ?
— J’ai l’intention de commettre un attentat contre votre personne.
Leni sursauta.
— Un attentat ? Qu’entendez-vous par là ?
— En ma qualité de secrétaire général du Comité d’organisation des XI e jeux Olympiques, j’ai, avec l’appui du Dr Lewald, convaincu le CIO de relier Berlin à Athènes où sont nés les jeux Olympiques. Une torche, fabriquée par les usines d’armement Krupp, sera allumée dans le sanctuaire de Zeus sur le mont Olympe et acheminée par des relayeurs, à travers l’Europe, jusqu’à la nouvelle Olympie que sera Berlin. Le jour de l’ouverture, c’est avec cette même torche, symbole de purification, que sera allumée la vasque olympique…
— Intéressant, observa Leni, amusée par l’enthousiasme excessif de son interlocuteur.
Les yeux de Carl Diem s’illuminèrent.
— L’idée est de montrer au monde que nous sommes la nouvelle Athènes. Notre Führer a toujours évoqué l’immortel idéal de la beauté grecque, alliant un physique parfait à un esprit radieux et une âme noble. La statuaire grecque est la représentation d’un sang et d’une chair nordiques, d’une substance raciale identique à la nôtre. La course de relais de la flamme olympique est la métaphore des liens entre hellénité et germanité, et rappellera que nous sommes les dignes et purs héritiers des Grecs de l’Antiquité…
Leni ignorait ces détails. Elle savait que des fouilles sur le site d’Olympie étaient menées par des archéologues allemands, mais elle ne se doutait pas que la parenté entre la civilisation germanique et celle des anciens Grecs fût si étroite.
— Fort bien, maugréa-t-elle, les mains sur les hanches. Et mon rôle dans tout ça ?
— Je voudrais que vous filmiez l’allumage de la torche à Athènes, puis son arrivée à Berlin, ainsi que les principales épreuves des Jeux. Il serait absurde, n’est-ce pas, qu’une si belle manifestation ne soit pas fixée sur pellicule !
La cinéaste demeura un moment pensive.
— L’idée est séduisante, Herr Diem. Mais j’avais juré de ne plus jamais tourner de documentaire.
— C’est pour cela, justement, que je parlais d’« attentat contre votre personne ». J’ai pour mission de vous forcer la main…
Un sourire espiègle plissa les lèvres de Leni.
— Vous me connaissez mal !
— Ecoutez-moi : il ne s’agira pas d’un documentaire comme les autres, mais plutôt d’un hommage aux Jeux et à l’Allemagne. Vous ne pouvez pas refuser !
— Et pourquoi donc ? Je suis tout à fait libre de refuser les projets qui ne me
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