Berlin 36
nationaux-socialistes sont arrivés au pouvoir, ils ont pris en main l’organisation des Jeux et nous ont donné l’assurance qu’ils respecteraient la charte olympique.
— Mais ils risquent de nuire à l’esprit même des Jeux ! Dans La Dépêche , Heinrich Mann a mis en garde contre la participation à des Jeux organisés par un pays où les exécutions sont fréquentes et où les Juifs sont, je cite, « expulsés de la vie courante »…
— Le comte de Baillet-Latour, président du CIO, m’assure que les Allemands ont cédé sur la question juive et ont donné la garantie que le Comité d’organisation présidé par Theodor Lewald observera scrupuleusement les règlements olympiques. A partir de là, nous ne pouvons pas leur retirer les Jeux !
— Vous êtes donc contre le boycott ?
La question du boycott continuait à susciter des controverses. Depuis la promulgation par le Reichstag, le 15 septembre 1935, des lois dites de Nuremberg qui, pour « protéger le sang allemand », considéraient les Juifs comme des citoyens de seconde classe et interdisaient les mariages entre Juifs et Allemands sous peine de réclusion, la vague de protestation s’était même intensifiée aux Etats-Unis. Néanmoins, en France, où le Front populaire avait remporté les élections, la Chambre des députés avait massivement voté « pour » la participation de la France aux Jeux de Berlin 1 et confirmé la dotation de un million de francs à l’équipe olympique. Pour se dédouaner, elle avait accordé, par la même occasion, une rallonge budgétaire de six cent mille francs aux fédérations sportives qui comptaient se rendre aux olympiades antifascistes de Barcelone 2 .
— Le boycott serait catastrophique, mademoiselle, répondit le baron de sa petite voix. Il est en tout cas injustifié : il ne faut pas mélanger sport et politique. Du reste, il ne serait pas équitable de pénaliser l’Allemagne qui est le premier pays en Europe à envisager les exercices physiques comme un droit social général, et qui assure, par sa généreuse politique communale, la possibilité à chacun de pratiquer un sport sans la contrainte des clubs. Croyez-moi, les jeux Olympiques de Berlin seront une véritable oeuvre culturelle !
— Et que pensez-vous de la participation des athlètes noirs aux Jeux ? L’un d’eux, un Américain, vient de battre quatre records du monde en moins d’une heure.
Elle sortit de son sac un numéro de L’Auto daté du 27 mai 1935 qui rendait compte de la victoire à Ann Arbor de Jesse Owens, le « Nègre américain de l’université de l’Ohio ».
— Par principe, répondit le baron en parcourant l’article avec une moue méprisante, je considère que l’égalité des races est un leurre. Elle est imprudente et, de toute façon, ne s’inscrit pas dans la logique des choses.
— Je ne saisis pas très bien le fond de votre pensée, répliqua Claire, désarçonnée.
— J’enfonce une porte ouverte en soutenant que les Blancs sont supérieurs aux Noirs. Cela dit, je crois que dans nos colonies, le sport devrait être encouragé auprès des indigènes. Il permet de discipliner les Nègres en leur inculquant de bonnes qualités sociales d’hygiène et d’ordre. Ne vaut-il pas mieux qu’ils possèdent de telles qualités et ne sont-ils pas ainsi plus malléables qu’autrement ?
— Vous avez souvent manifesté un grand attachement à l’amateurisme. Pourquoi ?
— Le sport devrait être réservé à l’élite, aux familles aisées qui ont les moyens de s’acheter des équipements et de s’offrir entraînements et voyages. Aujourd’hui, les choses ont malheureusement évolué.
— Et les femmes ? Quelle place leur accordez-vous ? Dans l’Antiquité, il y avait bien les Héracées, des jeux féminins dédiés à la déesse Héra !
— Ah, les femmes ! Au risque de vous décevoir, très chère demoiselle, je persiste à croire que l’athlétisme féminin est mauvais et que les « athlétesses », si je puis m’exprimer ainsi, devraient être exclues du programme olympique.
— Faut-il étendre l’interdiction à d’autres disciplines que l’athlétisme ?
— S’il y a des femelles qui veulent jouer au football ou boxer, libre à elles, pourvu que cela se passe sans spectateurs, car les spectateurs qui se regroupent autour de telles compétitions n’y viennent pas pour voir du sport !
La journaliste referma son calepin en
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