Berlin 36
t’annoncer quelque chose de bon.
Cependant, je ne veux pas laisser passer trop de temps, donc je vais te dire ce qui arrive maintenant et j’espère que la prochaine fois que je t’écrirai, on aura trouvé une solution. Je suis sûr que les choses sont en bonne voie. Ce que j’ai à faire dans deux jours, c’est de courir contre un…
Mais Jesse s’arrêtait toujours au même endroit. Comment aurait-il pu annoncer à Luz qu’il s’apprêtait à courir contre un cheval ? Il y allait de sa dignité… Depuis les Jeux de Berlin, les deux hommes ne s’étaient pas revus. Jesse avait su par les journaux que son ami avait été envoyé sur le front de Sicile, mais il n’avait pas imaginé une seule seconde qu’il pût disparaître ainsi, brutalement, dans la force de l’âge. Jamais il n’avait oublié le soutien que Luz lui avait apporté lors de l’épreuve du saut en longueur, et comment l’Allemand, faisant fi de toutes les théories raciales du III e Reich, avait exhorté le public à l’ovationner. Dans sa dernière lettre, Luz lui annonçait qu’il avait eu un fils, prénommé Karl. Jesse Owens se jura de le rencontrer un jour.
8
Où l’on débarque avec Claire en Normandie
— Et voici Utah Beach ! annonça le brigadier général Theodore Roosevelt Jr en montrant du doigt une large plage de sable bordée d’un cordon de dunes.
Debout sur le pont aux côtés du fils de l’ancien président des Etats-Unis – le seul général à accompagner une vague d’assaut en ce 6 juin 1944 –, Claire tressaillit. Les choses sérieuses allaient bientôt commencer. Après son départ de Berlin, elle était rentrée à Paris où elle avait recommencé à écrire pour L’Auto , mais son travail avait été brutalement interrompu par l’invasion allemande : contrôlé par les nazis, le journal s’était mis à publier des communiqués allemands et des textes vichystes ; Albert Lejeune, son directeur, entretenait de bons rapports avec la Propaganda Abteilung in Frankreich, organe de propagande de l’armée allemande en France 1 . Scandalisée, Claire n’avait pas tardé à démissionner. Sans nouvelles d’Oskar, elle avait vainement tenté de le joindre et, morte d’inquiétude, avait demandé à sa mère de se rendre au Quasimodo pour en savoir davantage. D’après Helmut, le pianiste avait été interné dans le camp de Sonnenburg, puis transféré en septembre 1939 au camp de Sachsenhausen, à trente kilomètres au nord de Berlin 2 . Refusant l’Occupation, elle avait alors quitté la France et s’était réfugiée à Londres où elle avait été engagée comme reporter par le magazine Liberty. Avertie au dernier moment qu’un débarquement était imminent, elle avait reçu l’accréditation nécessaire pour couvrir l’opération et avait été envoyée au sud de l’Angleterre en attendant le jour J. Bien que cette expérience fût à mille lieues de ce qu’elle avait connu à Berlin, elle n’avait pas hésité, consciente de l’enjeu de la bataille.
— Vous êtes là en terrain familier, ajouta Roosevelt en se tournant vers la journaliste.
Claire plissa les yeux. Une vaste plage s’étendait sur la côte nord-est de la presqu’île du Cotentin, à la limite des départements de la Manche et du Calvados. Au départ, le haut commandement allié ne prévoyait pas de débarquer dans cette zone. Mais la proximité du port de Cherbourg et la nécessité de disposer d’une solution de repli au cas où la situation tournerait mal sur les plages du Calvados avaient décidé Eisenhower et Montgomery à ajouter cette cinquième destination au plan initial.
— Comme vous le savez, cette plage se trouve en bordure d’une zone de marais, observa le brigadier général. Les Allemands ont volontairement fermé les vannes de drainage pour maintenir plusieurs secteurs inondés et mieux assurer la défense de la côte.
— Se doutent-ils qu’un débarquement se prépare ? lui demanda-t-elle en jouant nerveusement avec une boucle de ses cheveux.
— Non, le secret a été bien gardé. Mais d’après nos informations, le maréchal Rommel aurait renforcé le dispositif de défense : les dunes entre la baie des Veys et Saint-Vaast-la-Hougue sont truffées de nids de mitrailleuses, et des batteries lourdes ont été disposées sur les hauteurs de l’arrière-pays.
— Vous attendez-vous à une résistance farouche ?
Le brigadier général croisa les mains sur le pommeau
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