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Berlin 36

Berlin 36

Titel: Berlin 36 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexandre Najjar
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trois fois depuis sa naissance, puis, fermant les yeux, se mit à réfléchir. Que faisait-il donc dans cette galère ? Après sa médaille d’argent aux Jeux de Berlin, il s’était installé à Hambourg pour devenir avocat. Mais la guerre l’avait rattrapé. Un matin, il avait reçu un courrier l’enjoignant de se tenir prêt à intégrer la Wehrmacht. Affublé du titre de Obergefreiter (caporal-chef), il s’était retrouvé là, en Sicile, à défendre les positions germano-italiennes. Luz secoua la tête. Tous ses idéaux avaient volé en éclats : comme sportif, il avait toujours cultivé le fair-play, et ce n’était pas son ami Jesse Owens qui pouvait le démentir ; en tant qu’avocat, il avait toujours veillé à ne pas tromper ses clients. Il posa son arme sur ses cuisses et la caressa machinalement. Lui, l’athlète, l’homme de loi, en était réduit à se battre loin de son pays pour une cause dont il était de moins en moins convaincu. Hitler avait embarqué l’Allemagne dans une aventure hasardeuse aux conséquences terribles pour l’humanité, mais il avait subi, avec la bataille d’El Alamein, un sérieux revers. Enhardis par cette victoire, les Alliés semblaient déterminés à prendre le contrôle de la Méditerranée. Luz Long soupira. D’après les renseignements qui lui étaient parvenus, on avait découvert sur le corps d’un officier anglais abattu sur les côtes sud de l’Espagne des documents secrets selon lesquels la Grèce serait la priorité des Alliés. Quel crédit accorder à ces informations qui avaient poussé le haut commandement à envoyer une division blindée en Grèce plutôt qu’en Sicile ? Et si c’était un piège ? Pour exorciser la peur, il rouvrit son calepin, le posa sur ses genoux et se mit à écrire à Jesse Owens. Soudain, un cri, en provenance de l’extérieur, l’interrompit.
    — Alerte ! Ils débarquent !
    Luz Long prit son arme et sortit précipitamment de sa tente. Branle-bas de combat : les soldats s’égaillaient dans tous les sens pour gagner leurs positions.
    — Que se passe-t-il ? demanda-t-il à un officier.
    — On signale un débarquement amphibie de la VII e  armée américaine, commandée par le général Patton, au sud-sud-ouest de l’île, à Licata, Gela et Scoglitti ; un débarquement de la VIII e  armée britannique au sud de Lentini ; et des opérations aéroportées de la 82 e  US Airborne et de la 1 re  division aéroportée britannique. Regarde !
    Luz prit les jumelles que lui tendait l’officier et les braqua sur la mer. Au milieu de la brume, les formes fantomatiques de plusieurs centaines de navires de guerre se profilaient à l’horizon.
    — Quels sont les ordres ? demanda-t-il, sidéré.
    — Les Italiens se chargeront d’assurer la défense des côtes. Pour éviter d’être encerclés par les Alliés, nous devons nous replier méthodiquement vers le carrefour stratégique d’Enna et établir une série de points d’appui de retardement…
    Luz Long se mordit les lèvres. Dans quel pétrin l’avait-on fourré ? Et à quoi bon se battre quand on ne croit plus à la cause qu’on est censé défendre ?
     
    Toute la journée du 10 juillet 1943, les Allemands la passèrent à saboter les ponts et à miner les routes. Mais, pris sous un déluge de feu, harcelés de toutes parts par la marine et l’aviation, ils finirent par se débander. Au moment où Luz Long grimpait sur la tourelle d’un char, un obus frappa le blindé de plein fouet. Le corps de l’athlète fut projeté en l’air, comme s’il sautait pour la dernière fois, et s’écrasa sur le bas-côté. Trois jours plus tard, il se réveilla dans un hôpital sous contrôle britannique, mais, à bout de forces, vidé de son sang, il ne tarda pas à rendre l’âme. On l’enterra sans cérémonie dans le cimetière de Motta Sant’Anastasia.
    *
    — Ce n’est pas possible…, balbutia Jesse Owens en refermant le journal.
    — Quoi ? Que se passe-t-il ? s’exclama Ruth, alarmée.
    — Luz Long… Luz Long est mort au combat en Sicile !
    Bouleversé, il gagna sa chambre et s’assit à son secrétaire. Dix fois, il avait commencé une lettre qu’il destinait à son ami allemand, dix fois, il l’avait déchirée. Cette lettre commençait toujours de la même manière :
     
    Cher Luz,
     
    Je t’aurais écrit plus tôt, mais tout n’a pas été comme je le voulais depuis Berlin, et j’attendais de pouvoir

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