Berlin 36
de sa canne – depuis sa blessure pendant la Grande Guerre, il souffrait d’arthrite – et, sans quitter des yeux la côte normande, lui répondit :
— Cette zone est moins fortifiée que d’autres secteurs du fait que les nazis estiment que les marais et les zones inondées rendent difficile un accès à l’intérieur des terres. Notre 4 e division d’infanterie devra occuper la plage et opérer la jonction avec les parachutistes des 82 e et 101 e divisions aéroportées qui doivent prendre le contrôle de la N13, de la ligne de chemin de fer, des ponts de la Douve, et couper la liaison avec la forteresse de Cherbourg.
— A quelle heure débarquons-nous ?
Il haussa les épaules.
— Tout dépendra des courants marins…
Claire nota ces explications sur son carnet et remercia le brigadier général. A cause de la tempête et des houles, le navire tanguait sans cesse, provoquant nausées et vomissements. Ecoeurée, elle dévissa sa gourde et sortit de la poche de son uniforme un comprimé contre le mal de mer qu’elle avala rapidement. Autour d’elle, les soldats paraissaient à la fois inquiets et impatients d’engager la bataille. Ils étaient très chargés, portaient des armes, des munitions, des rations de nourriture pour trois jours, un masque à gaz, une petite pelle pour creuser les tranchées, une corde, une gamelle d’eau et une trousse de secours. Comment diable pouvaient-ils se mouvoir avec tout cet attirail sur le dos ?
Tandis qu’elle se dirigeait vers sa cabine, elle croisa un artificier de la NCDU 3 qui posait un préservatif sur un détonateur manuel et le fixait avec une bande de caoutchouc.
— Que faites-vous ? lui demanda-t-elle en fronçant les sourcils.
Le sergent Kevin Callahan éclata de rire.
— Je ne suis pas le pervers que vous croyez. C’est juste pour garder le détonateur étanche !
— A la guerre comme à la guerre ! répliqua-t-elle, amusée par l’ingéniosité de l’artificier.
Les canons des navires et les avions volant à basse altitude commencèrent bientôt leur pilonnage des positions allemandes.
— On y va ! décréta Roosevelt.
Claire rangea son calepin et son Rolleiflex dans le sac qu’elle portait autour du cou, coiffa son casque en acier MI, ajusta son uniforme frappé du sigle War correspondent , enfila son gilet de sauvetage et descendit la grande échelle de corde menant au LCVP 4 accolé au flanc du navire. Non sans mal, elle réussit à se parquer dans un coin de l’embarcation : chargés de leurs sacs, les GI’s étaient serrés les uns contre les autres comme des sardines dans leur boîte. La barge se mit en mouvement. Claire ferma les yeux. Le roulis, les douches d’eau salée, la fumée du diesel étaient insupportables. Elle pria pour qu’on débarquât au plus vite !
Malgré les efforts des barreurs, les choses ne se passèrent pas comme prévu. Portés par un puissant courant, les chalands dérivèrent à plus de deux kilomètres au sud de la grande dune et, vers 6 h 40, débouchèrent au milieu d’un vaste marais.
— Que fait-on ? demanda Callahan à Roosevelt.
— We’ll start the war from right here , répliqua le brigadier général. Nous débarquerons ici, ce n’est pas plus mal. Les Allemands ne nous attendaient pas dans ce secteur qu’ils ont probablement dégarni !
Les rampes des LCVP s’ouvrirent aussitôt et déversèrent près de six cents GI’s. Claire débarqua en même temps qu’eux, soulagée d’atteindre enfin la terre ferme. Mais elle déchanta rapidement : à cause des marais, le sol était spongieux. Par précaution, certains soldats s’attachèrent ensemble comme des alpinistes ; d’autres se délestèrent de leurs équipements pour éviter de s’enliser. Peu habituée à ce genre d’exercice, la journaliste pataugea dans la boue, s’enfonça jusqu’à la taille, perdit pied et faillit se noyer.
— A l’aide ! hurla-t-elle en agitant les bras.
Alerté par ses cris, le sergent Callahan vint à son secours.
— Accrochez-vous ! s’écria-t-il en lui lançant une corde nouée en lasso.
Claire la passa autour de sa poitrine et se laissa tirer hors de la boue par l’artificier.
— Tu es mon ange gardien, soupira-t-elle quand, malgré le poids de son sac à dos, il la prit dans ses bras pour la porter hors des marais.
— Ne prenez pas de risques inutiles, lui répondit-il en souriant. Nous avons besoin de vous pour raconter nos
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