Borgia
des enfants de chœur, des porte-croix et des autres prêtres.
La cérémonie était terminée. La foule commença à sortir… En quelques minutes, l’église se trouva vide… Il n’y eut plus, auprès de Ragastens, qu’une vieille femme qui, elle-même, se disposa à se retirer…
– Eh bien ?… fit machinalement Ragastens, on n’emporte donc pas le cercueil au cimetière ?…
– Comment ? se récria la vieille femme, vous ne savez donc pas ? Le Saint-Père a décidé que le corps serait enterré à Rome, où une voiture la transportera demain.
– On va la transporter à Rome ? balbutia-t-il.
– Mais oui ! Vous ne saviez donc pas ?… Et Sa Sainteté, pour faire honneur à la pauvre petite, a décidé qu’une garde d’honneur veillerait toute la nuit auprès du cercueil…
Ragastens sortit de l’église, livide, chancelant. Il se mit à arpenter lentement la rue, dans la direction du Panier fleuri, tournant et retournant l’effrayante question : comment ouvrir ce cercueil que gardent des soldats !…
À cinquante pas de l’église, il vit un hangar adossé à une auberge : sous ce hangar, l’escorte qu’il venait de voir passer s’était arrêtée. Déjà les soldats avaient déposé leurs armes et leurs manteaux de cérémonie. Deux ou trois d’entre eux, en pourpoint, bâillaient devant la porte de l’auberge. Ce hangar allait servir de poste à l’escorte qui, pendant tout le séjour du cercueil à l’église de Tivoli, fournirait la garde d’honneur. Ragastens les compta rapidement. Il y avait seize hallebardiers.
– Et les quatre qui gardent le catafalque, ça fait vingt ! murmura-t-il.
Dans la salle basse de l’auberge, l’officier qui commandait ce détachement était déjà attablé, lutinant une jolie servante qui venait de lui apporter à boire. Ragastens observa tous ces détails dans un rapide coup d’œil.
– Comment ouvrir le cercueil ?
La question revenait sans trêve, pendant qu’il avait l’air très attentif à examiner les hallebardiers, comme un bon badaud qui s’étonnait de la présence des soldats dans le paisible village. Puis il s’éloigna.
– Quatre ! pensa-t-il. La relève se fera toutes les deux heures… Quatre !… C’est beaucoup, mais pas au-dessus de mes forces. L’essentiel sera d’agir sans bruit…
Rentré au Panier fleuri, il se hâta de se dépouiller des vêtements de paysan que Spadacape lui avait procurés, et reprit son costume de cavalier. Il s’aperçut alors qu’il avait grand faim.
– Fais-moi apporter à dîner, dit-il à Spadacape.
Celui-ci s’élançait… Mais Ragastens le rappela.
– Non, fit-il, inutile : j’ai changé d’idée.
– Monsieur le chevalier a l’air tourmenté… Un bon dîner, au contraire, ne gâterait rien…
– Je sais, je sais… Aussi ne renoncé-je pas à dîner. Seulement, je dînerai ailleurs, voilà tout !…
– Vous sortez, monsieur ?
– Oui. Toi, veille et attends ici.
– Et la voiture ? Faut-il la conserver ?
– Plus que jamais. À propos, Spadacape, te chargerais-tu, le cas échéant, d’étourdir un homme d’un seul coup de poing, de façon qu’il tombe sans même pouvoir crier ?
– Heu !… Cela m’est arrivé, monsieur…
– Et s’il te fallait étourdir deux hommes ?
– On peut essayer… Oui, je crois pouvoir répondre de deux hommes qui ne seraient pas prévenus… Mais, monsieur, si le coup de poing ne réussissait pas ?
Ragastens tressaillit. L’idée de tuer les quatre factionnaires se présenta à lui pour la première fois. Et cette idée lui causa une insurmontable horreur…
– Que faire ? songea-t-il, pâle d’angoisse.
Et il s’en alla sans répondre à la terrible question de Spadacape. Il se dirigea droit sur l’auberge dont le hangar servait de corps de garde improvisé aux hallebardiers. Il entra délibérément dans la salle commune.
L’officier était toujours là. Ragastens se mit à appeler, en vociférant, de manière à concentrer sur lui l’attention de l’officier.
– Tudieu ! Ventrebleu ! Cordieu ! Corbacque !
– À la bonne heure ! cria l’officier qui, dans un coin, était attablé devant un dîner qu’on venait de lui servir.
« Si cet officier vient de Rome, et s’il m’y a vu, il va me reconnaître, pensa Ragastens. Voyons. »
Et il continua ses appels furieux en frappant du pommeau de son épée sur une table. Deux ou trois servantes accoururent,
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