Borgia
s’accotèrent comme ils purent pour achever la nuit. Quant à Ragastens, il se glissa au dehors par la fente de rocher que lui avait indiquée la Maga.
Il se trouva alors dans le bas du ravin, près de l’endroit où l’Anio, tombant à grand fracas, creusait un lac resserré, avant de fuir au fond de la gorge, vers la plaine. En face, de l’autre côté du ravin et tout en haut, se trouvait la caverne que tout à l’heure les sbires du pape avaient envahie.
Ragastens leva les yeux de ce côté… Tout était paisible, dans l’obscurité et le silence. Il commença à escalader les flancs abrupts du ravin, parvint au sommet et examina soigneusement la campagne. Mais il ne vit rien.
Ragastens s’élança dans la direction de la petite porte par où il avait pénétré dans l’intérieur du jardin avec la complicité du sieur Boniface Bonifazi. Il ne tarda pas à arriver au petit bois où Spadacape avait reçu l’ordre de garder les chevaux sellés et bridés, prêts pour la fuite.
– Pourvu qu’ils ne l’aient pas trouvé ! pensa-t-il.
Il s’avança avec précaution lorsque tout à coup, près de lui, retentit un hennissement.
– C’est Capitan ! murmura-t-il. Il n’a pas besoin de me voir pour me reconnaître… Mon bon compagnon !…
Un instant plus tard, Ragastens rejoignait Spadacape.
– C’est vous, Monsieur le chevalier ? fit celui-ci. Il y a deux minutes que je me doutais que vous étiez dans le bois… votre Capitan voulait absolument m’échapper…
– Tu n’as rien vu ? demanda Ragastens.
– C’est-à-dire que j’ai entrevu au loin des torches qui couraient, j’ai entendu des cris… puis il m’a semblé qu’un groupe de cavaliers sortait de la villa et descendait la montagne. J’ai compris qu’on vous poursuivait et si vous ne m’aviez positivement ordonné de ne pas bouger, quoi qu’il advînt, je me serais avancé avec les chevaux, dans l’espoir de vous rencontrer… Ah ! Monsieur le chevalier… j’ai bien cru que je ne vous reverrais pas !…
– Tu dis que le gros de cavaliers a descendu la montagne ?…
– J’en suis certain… Aucun n’est monté vers Tivoli.
– C’est donc qu’on suppose que nous avons cherché à gagner la route de Florence. En ce cas, Tivoli n’est pas surveillé. Tout est à merveille… Tu vas reconduire les chevaux au Panier Fleuri et tu attendras là, en disant, si on t’interroge, que nous faisons une excursion à pied parmi les curiosités de la montagne… Si l’éveil a été donné dans Tivoli, si on y parle de ce qui s’est passé à la villa, tu m’attendras ici pour me prévenir.
– J’ai compris.
– Puis, dès la pointe du jour, tu te procureras une voiture solide, attelée de deux bons trotteurs… Voici de l’argent… Il faudra que la voiture puisse courir très vite par tous les chemins, et tu auras soin qu’elle demeure attelée, pendant toute la journée… tu inventeras un prétexte quelconque pour expliquer la chose… Enfin, tu me tiendras prêt un habillement complet comme en portent les paysans de Tivoli… Va, demain matin, c’est-à-dire dans trois ou quatre heures, tu me verras… Tu as bien compris ?
Spadacape fit signe qu’on pouvait se fier à lui et s’éloigna, entraînant les chevaux.
Confiant dans les ressources de ruse et d’audace de l’ancien truand, Ragastens regagna plus tranquille la caverne où il s’allongea aussitôt sur un tas de feuilles mortes et dormit à poings fermés.
Un rayon de soleil filtrait à travers les ronces qui cachaient la fente par où il était sorti et rentré lorsqu’il se réveilla. Il vit Raphaël et Machiavel qui causaient dans un coin avec la Maga.
– Bonjour ! fit-il gaiement. Déjeunons-nous ce matin ?
– J’ai prévu le cas où je serais obligée de séjourner plusieurs jours ici, répondit la Maga… J’ai du vin pour donner des forces et du biscotelto {6} avec quelques tranches de viande fumée.
Ragastens et Machiavel firent seuls honneur à ce modeste repas. Le chevalier rendit compte des dispositions qu’il avait prises avec Spadacape et annonça qu’il allait immédiatement se mettre en campagne.
– Voulez-vous de moi ?… demanda Machiavel.
– Non, il vaut mieux que je sois seul ; c’est même indispensable. À deux, nous risquerions d’être remarqués et tout serait perdu. Ne bougez pas d’ici et, vers la fin de la journée, je viendrai vous indiquer le moment
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