Borgia
d’agir.
– Puissiez-vous être heureux un jour et voir vos désirs se réaliser ! dit la Maga avec une étrange solennité. Vous méritez le bonheur.
Ragastens tressaillit.
– À quoi voyez-vous que je désire quelque chose ? demanda-t-il en en essayant de rire.
– Enfant !… Je suis bien vieille et j’ai bien souffert… J’ai appris à lire sur le visage des hommes. Je vois, je devine qu’un tourment se cache au fond de votre cœur… Et je souhaite ardemment que vous soyez aimé comme vous le méritez.
Ragastens, plus ému qu’il n’eût voulu le paraître, serra la main de ses amis et s’élança au dehors, tout pensif.
Il s’engagea dans un sentier qui contournait de hauts rochers. Parvenu en haut du ravin, il constata que rien d’anormal ne semblait se passer dans la montagne. Seuls, quelques chevriers apparaissaient par-ci par-là dans la grande lumière rose du matin… La villa du pape était muette et mystérieuse comme à l’ordinaire. Seulement la cloche de la chapelle sonnant d’intervalle en intervalle jetait dans l’air ses notes mélancoliques…
Il parut évident à Ragastens que les recherches des cavaliers du pape s’étaient portées au loin. Il ne se trompait pas.
Rodrigue Borgia, après le départ de Sanzio, de Machiavel et de Ragastens, s’était mis à crier et à appeler au secours. On avait fini par l’entendre et on l’avait délivré. Le pape, d’après l’entretien qui venait d’avoir lieu, avait supposé que les trois hommes connaissaient la Maga, qu’ils savaient en quel coin elle habitait, et qu’ils se dirigeraient sans doute vers la caverne. Ce fut donc là qu’il envoya ses gardes d’autant mieux qu’il voulait du même coup s’emparer de la Maga. La caverne fut trouvée vide…
Borgia supposa alors que tous les quatre avaient rejoint la grande route de Florence… Et c’est cette route que ses cavaliers battaient encore tandis que Ragastens, par un grand détour, gagnait Tivoli. À l’entrée du village, il trouva Spadacape qui l’attendait.
– Que dit-on dans Tivoli ? lui demanda-t-il.
– Rien, sinon qu’une personne est morte cette nuit dans la villa pontificale et qu’on va l’enterrer aujourd’hui.
– Très bien. La voiture ?…
– Prête. Attelée dans la cour du Panier fleuri. Une voiture solide. Des chevaux capables de descendre la montagne au galop. Le vêtement des paysans est prêt aussi.
– Spadacape, tu es un homme précieux !
– Je vous l’avais bien dit, monsieur, répondit modestement Spadacape.
Tous deux gagnèrent alors l’auberge du Panier fleuri dans laquelle ils entrèrent par une porte de derrière, donnant sur les champs. Dix minutes plus tard, Ragastens en sortait sans avoir été remarqué, vêtu comme un cultivateur qui s’en va au travail, une bêche sur l’épaule.
Toute la journée, il erra aux alentours de la villa sans la perdre de vue. Enfin, le soleil baissa sur l’horizon.
Il commençait à redouter que la cérémonie funèbre n’eût été remise au lendemain, lorsqu’il entendit les cloches de la chapelle sonner à toute volée.
Bientôt, la porte principale de la villa s’ouvrit toute grande. Plusieurs prêtres apparurent, précédés d’un porte-croix et psalmodiant les prières des morts. Puis ce fut le cercueil, couvert d’un drap blanc et porté par huit domestiques à la livrée pontificale.
Ragastens sentit son cœur battre violemment à la pensée de la jeune fille étendue dans la bière… Il frémit, et, malgré tout son courage, il ne put se défendre d’un moment de terreur.
Derrière le cercueil venaient une vingtaine de soldats formant escorte, puis enfin les habitants de la villa, suivant en procession. Le cortège passa à cinquante pas de Ragastens, caché dans les broussailles.
Il se mit à suivre de loin. Lorsque le cortège funèbre entra dans Tivoli, un grand nombre d’habitants vinrent s’y mêler. Ragastens put dès lors rejoindre la procession et se confondre dans la foule. À l’église, Ragastens entra comme tout le monde.
Les prières furent chantées. Puis un silence se fit. Le prêtre faisait le tour du cercueil et, selon le rite, l’aspergeait d’eau bénite. Le cercueil avait été placé au milieu de l’église sur des tréteaux. Quatre soldats, l’épée à la main, s’étaient immobilisés aux quatre angles, près de quatre cierges… Enfin, le prêtre regagna l’autel, puis disparut dans la sacristie, accompagné
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