Borgia
allons être sans chef. Et la comtesse Béatrix sera seule dans une ville sur le point d’être assiégée… Il faut un chef à notre entreprise… Il faut un protecteur pour Béatrix.
Primevère devint plus pâle encore.
– Ce chef, ce protecteur, c’est la comtesse Béatrix qui va le désigner dès maintenant… Dans trois jours, heure pour heure, si le comte Alma n’est pas de retour parmi nous, l’homme qui va être désigné, parmi tant de chefs illustres, deviendra le chef suprême de notre entreprise et l’époux de la princesse Béatrix… J’ai dit.
Un murmure confus s’éleva de toutes parts. Plusieurs, parmi ces hommes, aimaient la jeune fille en secret. Plus d’une main tourmenta nerveusement le poignard de cérémonie sur lequel elle s’appuyait. Plus d’un regard se fixa sur Malatesta qui paraissait tout désigné pour devenir le chef de l’entreprise et l’époux de Béatrix…
Agitée de mille sentiments, la jeune fille promena sur l’assemblée un regard éperdu… Elle se leva et dit :
– Chers seigneurs, la proposition de Jean Malatesta m’effraie et me surprend…
– Elle est raisonnable, pourtant ! firent plusieurs voix.
Primevère vit clairement que si elle ne se rendait pas, c’en était fait de l’œuvre à laquelle elle s’était vouée… Une larme trembla à ses paupières… Une rapide vision passa devant ses yeux… Elle se vit dans un bois d’oliviers tout parfumé, près d’un ruisseau qu’un jeune cavalier franchissait d’un bond pour venir lui baiser la main…
Mais, tout à coup, elle se rasséréna… Son regard reprit cette expression indéfinissable, mélange de hardiesse et de douceur qui la faisait si séduisante.
– Bien, dit-elle, j’accepte !
Il y eut un frémissement, puis un grand silence.
– Chers et aimés seigneurs, celui que je choisis, puisque je suis appelée à l’honneur de ce choix, pour notre chef à tous et pour mon époux, c’est celui qui vous inspire à tous confiance, estime et affection, celui qui peut vraiment réunir les suffrages de tant d’hommes de haute valeur… C’est le prince Manfredi…
Un tonnerre de vivats accueillit ces paroles. L’unanimité des assistants reconnaissait dans le prince Manfredi un chef digne d’être écouté aussi bien dans les conseils que sur le champ de bataille.
Seuls, deux ou trois pâlirent de dépit, sans cependant élever de protestation. De ce nombre était Jean Malatesta.
Le prince Manfredi, après le premier moment de surprise, n’avait pu dissimuler le plaisir que lui causait le choix de Primevère. S’avançant vers la comtesse Béatrix, il avait incliné sa haute taille faite pour les robustes armures, avait saisi la main de celle qu’il pouvait considérer comme sa fiancée et l’avait baisée. Ce baiser fit tressaillir Primevère… Qu’avait donc espéré la jeune fille ? Et pourquoi une sorte de terreur s’empara-t-elle de son cœur au moment où le vieillard lui murmura :
– Soyez bénie, chère Béatrix, pour avoir réservé une telle joie à mes vieux ans… Je vous regardais comme ma fille… vous voulez que je sois votre époux… C’est une gloire pour moi, et si j’ai les cheveux blancs, je jure par la madone que nul ne s’en apercevra maintenant que vous les avez auréolés d’amour !…
Le vieillard se redressa. Tourné vers l’assemblée, les yeux brillants, ses larges épaules d’aplomb, la poitrine vaste, il apparut plein de force lorsqu’il cria :
– J’accepte le double honneur qui m’est fait. Messieurs, je désigne Valentin Ricardo comme maître de notre cavalerie et Trivulce, de Piombino, pour commander notre infanterie. Je désigne Roderigo d’Imola, Jean Malatesta et Giulio d’Orsini pour former le conseil…
La foule des chefs, debout, ratifia ces choix par ses vivats et salua Primevère de ses acclamations.
Les trois jours s’écoulèrent. Le prince Manfredi avait envoyé des cavaliers dans toutes les directions ; les environs de Monteforte furent battus dans un rayon de plusieurs lieues ; mais toutes les recherches furent vaines. La trahison du comte Alma devint évidente.
Le quatrième jour, les cloches sonnèrent à toute volée ; les fanfares éclatèrent sur la place du palais ; une foule énorme, bruyante, joyeuse, se tassa sur la place.
À midi, la comtesse Béatrix Alma apparut au haut de l’escalier monumental, entourée de ses dames d’honneur, suivie des seigneurs du palais. Le prince
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