Borgia
suis évadé la veille du jour où on devait m’exécuter pour avoir refusé de venir m’emparer de vous à Monte-forte !…
– Ne l’écoutez pas, comte !… Cet homme ment !…
Garconio, en parlant ainsi, se traînait sur les genoux et tâchait d’atteindre Ragastens. Spadacape lui mit la main sur l’épaule et, d’un brusque mouvement, le repoussa en arrière. Quant au baron, il venait de s’évanouir…
Les quelques mots de Ragastens éveillèrent le comte Alma. Il ne douta pas un seul instant qu’elles ne fussent l’expression de la vérité. En effet, non seulement l’air grave et la physionomie loyale de Ragastens écartaient toute idée de mensonge, mais encore ce qu’il disait était en parfaite concordance avec les événements.
– J’ai refusé au pape de me prêter à sa petite infamie… Le baron Astorre a accepté, lui !…
– Après, monsieur ? fit le comte avec la même réserve.
– Après ?… Le jour où j’ai été arrêté, j’ai entendu de mes propres oreilles, monseigneur César Borgia donner l’ordre de préparer pour vous la plus secrète des oubliettes du château Saint-Ange…
Le comte Alma se rappela l’exemple de plusieurs seigneurs qui comme lui, avaient été attirés à Rome par de séduisantes promesses, et qui avaient été tous victimes d’accidents plus ou moins bizarres. Ragastens comprit ce qui se passait dans l’esprit du comte.
– Monsieur, lui dit-il, ma tête est mise à prix ; des estafiers ont été lancés sur ma piste ; à cette heure, je pourrais être bien loin et en toute sûreté ; si je me suis dérangé de ma route pour aller à Monteforte, c’est que j’ai voulu sauver d’une mort affreuse un brave et digne gentilhomme abusé par ce moine, digne serviteur du fourbe prodigieux qui s’appelle Borgia… Maintenant, j’ai la conscience en repos. Si vous voulez aller à Rome, vous en êtes libre… Viens, Spadacape, il est temps…
Et Ragastens fit un mouvement comme pour sortir. Mais ses dernières paroles, le ton grave et ému du chevalier, l’évidence de sa bonne foi, puisqu’il ne cherchait pas à l’arrêter, le mouvement qu’il fit pour se retirer, tout cela acheva de convaincre le comte Alma.
– Attendez, monsieur… dit-il.
Ragastens attendit, anxieux… décidé, au fond, à ramener le comte Alma par la force, s’il n’arrivait pas à le convaincre…
Celui-ci jeta un regard sur le baron Astorre, encore évanoui, puis sur le moine que sa blessure empêchait de remuer, mais qui lui jetait des regards pleins de rage.
– Monsieur, dit-il soudain à Ragastens, je vous accompagne un peu, car j’ai besoin de vous parler et je ne voudrais pas retarder votre fuite ; mais, ajouta-t-il en regardant Garconio, je reviendrai ici… Je veux aller à Rome…
– Spadacape, les chevaux ! fit Ragastens en contenant sa joie.
Quelques minutes plus tard, le comte Alma et Ragastens trottaient de conserve sur la route de Monteforte.
– Monsieur, avait demandé Spadacape, faut-il achever le moine ?
– Bah ! À quoi bon ? avait répondu insouciamment Ragastens ; il mourra quelque jour d’une perfidie rentrée ; cela vaudra mieux qu’un coup de poignard.
Pendant un quart d’heure, le comte Alma resta silencieux. Il n’était nullement résolu à retourner à Monteforte et c’est à peine s’il était réellement décidé à ne pas aller à Rome, même après ce que lui avait dit Ragastens. Mais il réfléchissait que s’il revenait à Monteforte, et que la guerre commençât, il lui serait loisible de se préparer une double issue : si la ligue des barons l’emportait, il demeurait maître de la situation, puisqu’il aurait, de nom sinon de fait, dirigé la campagne. Si, au contraire, les armées de César triomphaient, il pourrait toujours dire qu’il avait été ramené à Monteforte par violence…
Ragastens l’examinait du coin de l’œil et cherchait à se rendre compte de ce qu’il pouvait bien penser.
« Voilà donc, songea-t-il, le père de Primevère ! Comment ce triste sire, qui n’a même pas le courage de sa trahison, a-t-il pu mettre au monde cette merveille de loyale hardiesse qu’est Béatrix ?… »
De son côté, le comte Alma jetait par instants un furtif regard sur le chevalier dont il admirait sourdement l’air de décision.
– Monsieur, lui dit-il tout à coup, êtes-vous bien certain des intentions de César Borgia à mon égard ?… Voyons, maintenant
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