Borgia
pièce que la tonnelle garantissait des ardeurs du soleil et de tout regard indiscret. Plusieurs personnages réunis dans la pièce causaient entre eux. Ces personnages ne pouvaient rien dire sans être entendus de Ragastens.
Quelques mots prononcés d’une voix plus haute lui firent dresser l’oreille. Dès lors, il ne perdit pas une syllabe de ce qui se disait dans la petite pièce. Et ce qui se disait devait être d’un prodigieux intérêt pour Ragastens. Car, peu à peu, il s’était levé, s’était rapproché le plus possible du rideau de feuillage, l’oreille tendue, les yeux brillants. Enfin, au moment où la conversation qu’il venait de surprendre paraissait près de sa fin, Ragastens se pencha doucement et fit signe à un homme qui, dans la cour, fourbissait des brides de chevaux. L’homme accourut.
– Spadacape, lui souffla Ragastens dans l’oreille, tu vois cette chambre, n’est-ce pas ? La porte donne sur le couloir qui traverse l’auberge. Tu vas aller te placer devant la porte et tu ne bougeras plus…
– Bon… j’y vais…
– Attends !… Tu auras ton poignard à la main. Si on ouvre la porte, et que quelqu’un veuille sortir…
– Il faudra qu’il se heurte à cette pointe d’acier ?
– Tout juste… Tu comprends à merveille !
Ragastens attendit un instant. Puis, lorsqu’il supposa que Spadacape était à son poste, il sortit de la tonnelle, entra dans l’étroit passage que nous avons signalé, parvint à la fenêtre, et, l’enjambant légèrement, sauta dans la pièce en disant de sa voix la plus railleuse :
– Bonjour, messieurs… Enchanté de faire votre rencontre !…
XXXIX – MARIAGE DE PRIMEVÈRE
À Monteforte par une belle soirée d’été, une extraordinaire agitation se manifestait dans les rues de la ville. Des gens du peuple, des soldats en quantité affluaient sur une grande place, au fond de laquelle se dressait l’élégante architecture florentine du palais comtal des Alma.
La façade du palais était resplendissante de lumières. La grande salle des fêtes contenait une foule de seigneurs en costume de guerre. Parmi eux se trouvaient tous les personnages entrevus dans les catacombes de Rome. Au fond de la salle s’élevait le trône comtal, encore inoccupé. On attendait avec impatience l’arrivée du comte Alma et de sa fille Béatrix.
Un groupe de cinq ou six jeunes gens entourait, à quelques pas du trône, un beau vieillard à barbe blanche : le prince Manfredi qui, malgré ses soixante-douze ans, était accouru l’un des premiers à l’appel du comte Alma… On allait recommencer la guerre…
Le comte Alma, bon gré mal gré, était devenu l’âme d’une vaste conspiration à laquelle s’étaient ralliés tous ceux que César avaient dépossédés. En cette réunion on allait décider des dernières mesures à prendre.
Un espion arrivé dans l’après-midi avait apporté la nouvelle que César venait de quitter Rome à la têtede près de quinze mille hommes, tant fantassins que cavaliers. Il avait en outre avec lui dix coulevrines de campagne, et huit bombardes d’artillerie capables de lancer à plus de deux cents pas de gros boulets de pierre.
Dans la salle des fêtes, l’heure arriva où le comte Alma devait prendre place au trône comtal et ouvrir la conférence. Déjà, des murmures s’élevaient. Dans le groupe qui entourait Manfredi, quelqu’un dit à haute voix :
– Le comte Alma nous commande en chef ; mon avis est que l’honneur lui semble excessif… Peut-être un régiment dans l’armée de César ferait-il mieux son affaire…
Ces paroles, qui traduisaient les inquiétudes et les accusations de beaucoup des chefs, amenèrent un silence glacial. À ce moment, la porte qui se trouvait près du trône s’ouvrit brusquement. Tous les yeux se portèrent de ce côté. Béatrix entra seule !…
Il y eut dans la foule une minute de stupeur inquiète. Que faisait donc le comte Alma ?… Cette stupeur se changea en curiosité lorsqu’on vit Béatrix se diriger résolument vers le trône comtal et y prendre place… Un grand silence s’établit.
Debout, svelte, dans sa longue robe de velours gris, Béatrix promena sur l’assemblée un regard assuré.
– Seigneurs, dit-elle d’une voix qui ne trembla pas, j’ai une malheureuse nouvelle à vous apprendre : le comte Alma a disparu de Monteforte.
À ces mots, il se fit dans la salle un grand tumulte.
– Trahison ! crièrent
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