Borgia
seigneurs !… s’écria Primevère, blanche de désespoir.
Mais sa voix fut couverte par le tonnerre des voix qui grondaient. Elle retomba sur son fauteuil, impuissante… Et comment, d’ailleurs, eût-elle pu défendre son père ?
À ce moment, un homme, un vieillard, se dressa près de Jean Malatesta. C’était le prince Manfredi. Il jouissait d’une influence incontestée sur tous ces rudes chefs de guerre qu’il avait commandés en mainte bataille, qu’il avait dirigés de sa sagesse dans les conseils. Lorsqu’il se leva, le silence se rétablit lentement, par degrés…
– Messieurs, dit-il enfin d’une voix que l’âge n’avait pas cassée, moi aussi, j’ai vu mes domaines envahis ; j’ai vu le carnage là où la paix faisait jadis fleurir les moissons… Je ne parle pas de mes richesses pillées, de mes privilèges foulés aux pieds… Je suis vieux, mais il s’agit du salut de l’Italie, et mes épaules sont assez robustes encore pour porter la cuirasse. Messieurs, l’un des premiers, j’ai adhéré à la délivrance… Vous m’avez entendu dans les réunions, vous m’avez vu à l’œuvre sur les champs de bataille… Je crois qu’il m’est permis de vous dire franchement ma pensée…
» Je crois que l’ardeur de la jeunesse a emporté trop loin le valeureux Jean Malatesta… Je crois qu’en ce qui concerne le comte Alma, nous ne devons pas prendre de décision précipitée… Messieurs, vous oubliez que la fille du comte Alma, notre bien-aimée Béatrix, occupe ce trône… Regardez cette frêle enfant qui nous a donnés à tous, hommes de guerre que nous sommes, l’exemple de l’intrépidité…
» Seigneurs, je propose qu’il soit sursis à toute décision contre le père de Béatrix.
Jean Malatesta, lui aussi, avait regardé Primevère. Il était devenu pâle de la voir si pâle. Et ce fut d’une voix altérée par la profonde émotion des violents et secrets sentiments qui l’agitaient, qu’il reprit :
– Seigneurs, la proposition du vénéré Manfredi m’agrée. Qu’il soit sursis… Soit ! Mais de combien de jours ?…
Tous se regardèrent, surpris, hésitants.
– Seigneurs, se hâta alors de continuer Jean Malatesta, autant que le prince Manfredi, autant que vous tous, je suis touché de la situation de la jeune comtesse… Et j’ajoute que ma proposition de tout à l’heure s’enchaîne étroitement à une deuxième proposition que je veux faire… Je parle au grand jour, comme devant des frères…
En disant ces mots, Jean Malatesta parut plus vivement ému. Dans l’assemblée, un certain nombre de jeunes gens fixèrent sur lui des yeux ardents, comme s’ils eussent deviné déjà sa pensée. Quant à Primevère, son inquiétude fut si évidente que le prince Manfredi alla se placer près d’elle, comme pour la rassurer. Cependant, Jean Malatesta s’était tourné vers elle :
– Chère Béatrix, dit-il nerveusement, vous êtes vraiment notre chef, vous êtes l’âme de toutes nos âmes. C’est votre jeune bravoure qui nous a enflammés, ce sont vos paroles qui ont réveillé l’espoir en nous… Et puisse ma langue être donnée aux chiens si j’ai proféré ou si je profère des paroles qui vous blessent.
– Vous ne me blessez pas, Jean Malatesta.
– Donc, fit le jeune homme avec plus de force, tous ici nous sommes décidés à mourir pour vous, s’il le faut… C’est là, je crois, la plus forte parole que je puisse trouver pour vous dire le dévouement de tous ces seigneurs – et le mien !… Le comte Alma nous a abandonnés… Mais il vous a abandonnée aussi, Béatrix… En proposant de le déchoir de tous ses titres j’ai compris parmi eux le plus beau… le titre de père… Que cette décision soit remise, j’y consens… Mais il est nécessaire que notre entreprise ait un chef… un homme qui puisse marcher à la bataille… Il faut que le comte Alma soit remplacé… Seigneurs, et vous, Béatrix, écoutez ma proposition.
Le jeune homme s’arrêta une seconde, peut-être dominé par l’émotion. Puis, dans le solennel silence, il parla :
– Je propose d’attendre trois jours. Si dans trois jours, heure pour heure, le comte Alma n’a pas reparu, il sera déchu… Acceptez-vous ?…
– J’accepte ! dit le prince Manfredi.
– Nous acceptons ! reprirent les chefs assemblés.
Primevère fit un signe qui indiquait qu’elle se résignait.
– Or, dans trois jours, reprit Malatesta, nous
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