Borgia
festins…
Enfiévré, Ragastens se crut transporté dans quelque paradis mahométan… Lucrèce elle-même plaçait devant lui des cédrats confits, des pastèques glacées par un procédé qu’elle avait imaginé, puis elle versait dans sa coupe un vin qui moussait et pétillait.
– Buvez, dit-elle avec un regard qui acheva de bouleverser le chevalier… C’est du vin de votre pays… mais je le fais traiter par une méthode spéciale…
Le chevalier vida sa coupe d’un trait. Ses veines charrièrent des flammes…
Il goûta aux confitures que lui présentait Lucrèce. Et ses tempes se mirent à battre, tandis que son imagination s’ouvrait à des visions délirantes…
– Madame, s’écria-t-il, je bois, je mange, j’entends, je vois… et je me demande si je ne fais pas quelque rêve splendide après lequel la réalité me paraîtra plus cruelle !… Où suis-je !… Dans quel palais enchanté !… Dans la demeure de quelle adorable fée !…
– Hélas ! vous êtes simplement chez une mortelle… chez la pauvre Lucrèce Borgia, qui cherche à se distraire et qui y arrive rarement.
– Quoi ! madame, vous seriez malheureuse ? Ah ! dites quel vœu vous avez formulé… lequel de vos désirs est resté inassouvi… Morbleu ! quand je devrais remuer le monde… quand je devrais, comme les Titans de jadis, escalader l’Olympe pour aller demander le secret du bonheur…
– Bravo chevalier ! s’exclama César. Et s’il ne suffit pas de l’Olympe, nous escaladerons le ciel pour demander au Père Éternel la recette des confitures idéales par quoi Lucrèce se tiendra satisfaite !…
– Je ne suis qu’un gentilhomme sans fortune, répondit Ragastens en reprenant son sang-froid. Mais j’ai un cœur qui sait vibrer, un bras qui ne tremble pas et une épée ; je les mets, madame, à votre dévotion, trop heureux si vous daignez en accepter l’hommage.
– J’accepte cet hommage, dit Lucrèce, avec une gravité qui fit tressaillir le chevalier.
– Et maintenant que vous voilà l’homme-lige de la duchesse de Bisaglia, reprit César, voyons, chevalier, à vous trouver une situation officielle où vous puissiez utiliser vos talents… Je puis obtenir de mon père un brevet de garde-noble pour vous.
– Monseigneur, fit le chevalier, rappelé par ces paroles à la réalité, je vous avoue que j’aimerais mieux autre chose.
– Diavolo ! Vous êtes difficile, mon cher ! Les gardes-nobles doivent prouver six quartiers de noblesse… et, après tout, ajouta-t-il, avec une brutalité voulue, j’ignore, au fond, qui vous êtes…
Ragastens se leva et se campa fièrement.
– Monseigneur, dit-il d’une voix mordante, vous ne m’avez pas demandé mes parchemins à Chinon.
– Aïe ! je suis touché ! fit César.
– Quant à mes titres de noblesse, ils sont écrits sur mon visage ; chez nous, les gentilshommes se devinent au premier coup d’œil… et ces titres, je suis prêt à les contresigner du bout de ma rapière.
– Bravo ! Bien riposté !…
– Puisque vous pensez que je suis venu en Italie pour monter la garde dans les églises, autour d’un vieillard qui dit des prières, adieu, monseigneur !…
– Eh là ! Quel diable d’enragé êtes-vous donc… ? Je sais, parbleu, que vous méritez mieux ! Aussi, ne vous l’ai-je proposé que pour vous éprouver… Vous me plaisez, tel que vous êtes… La manière dont vous avez arrangé mon terrible Astorre, dit l’Invincible, vos réponses, votre air, et jusqu’à cette magnifique volée, tout à l’heure… ah ! cela surtout… j’en ris encore…
César se renversa, riant en effet à pleine gorge. Le chevalier se rassit, en souriant.
– Donc, vous voulez entrer à mon service ?…
– Je vous l’ai dit, monseigneur !
– Eh bien, c’est fait, monsieur… Dans peu de temps, je vais recommencer la campagne contre certains principicules qui se croient tout permis… Mais je m’entends… À ce moment-là, je compterai sur vous, chevalier. Les hommes braves et spirituels sont rares… je vous connais depuis quelques heures, mais le peu que j’ai vu me répond de vous… Chevalier de Ragastens, vous entrerez en campagne sous mes ordres, à la tête d’une compagnie.
– Ah ! monseigneur, fit Ragastens en bondissant, que dites-vous là ?… Vous voulez vous moquer, sans doute…
– Après-demain, au château Saint-Ange, venez chercher votre brevet…
Ivre de joie, tous ses
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