Borgia
cavaliers, exécuta charges sur charges. Il fonçait droit devant lui, se découvrant, passant au plus épais de la mêlée, cherchant la mort. La mort ne voulait pas de lui !…
Et ce fut au retour d’une de ces charges qui avaient paralysé l’élan de César qu’il vit tout à coup le comte Alma et le prince Manfredi entourés par un groupe de Suisses. Ragastens s’élança, suivi d’une vingtaine de cavaliers. À ce moment, le comte Alma tomba, la gorge ouverte par un coup de lance. Il tomba, tué raide, les bras en croix, les mains crispées, dans des flaques de sang.
Il y eut autour de son corps une lutte acharnée. Lorsque Ragastens vit que le prince Manfredi demeurait seul debout, enveloppé de toutes parts, avec la cinquantaine de guerriers qu’il avait autour de lui, il eut un éblouissement de désespoir intime.
– Le moment de mourir est venu !… pensa-t-il.
Et en même temps, il chargea. En un instant, il fut sur le groupe qui entourait le prince. Le vieillard, tête nue, sanglant, effrayant à voir, lui sourit. Ragastens vit ce sourire et cria :
– Je tiens parole !…
Son attaque tint du prodige et de la folie. Il se rua, ayant jeté son épée, poussant son cheval, se précipitant sur les lances… Et, au bout de quelques minutes de voltes, de vire-voltes foudroyantes, il se retrouva vivant, dans un large espace vide, devant des gens qui fuyaient, effarés.
À ce moment, un coup d’arquebuse retentit à dix pas devant lui. Ragastens entendit la balle siffler à son oreille. Puis, en arrière de lui, il y eut un cri sourd. Il se retourna… Et il vit le prince Manfredi qui roulait de son cheval et tombait non loin du cadavre du comte Alma.
Ragastens sauta à terre et courut au prince. Le vieillard avait reçu le plomb en pleine tête. Cependant, il n’était pas mort encore. Ses yeux convulsés roulaient dans leurs orbites, il faisait un effort surhumain pour se soulever. Ragastens se pencha sur lui.
– Monsieur, lui dit Ragastens, vous m’êtes témoin que j’ai tout fait pour tenir ma parole…
– Oui ! fit le prince de la tête.
– Je n’ai pas réussi… mais la bataille n’est pas finie… Mourez en paix, monsieur… Je vous rejoins…
– Non ! articula péniblement le vieillard. Vivez… pour elle !…
Ragastens s’agenouilla et des larmes coulèrent sur ses joues, traçant un double sillon parmi la poussière noire qui couvrait son visage. Manfredi voulut parler encore. Mais sa tête qu’il avait soulevée retomba lourdement. Le prince Manfredi était mort…
Alors, Ragastens se baissa, souleva cette tête blanche et rouge et déposa un baiser à la place même que la balle avait frappée. Quand il se releva, il était livide, avec une bouche toute rouge de sang.
Il jeta les yeux autour de lui et vit Capitan qui l’avait suivi. Alors, il ramassa la large épée du prince Manfredi, sauta en selle et examina la situation.
Les chefs survivants des alliés s’étaient massés autour de lui. La bataille était perdue et la défaite allait se changer en désastre. De toutes parts, les troupes alliées fuyaient, jetant leurs armes, se précipitant vers le défilé.
– Nous sommes perdus ! dit une voix près de Ragastens. Le chevalier se retourna et vit Giulio Orsini.
– César va marcher sur Monteforte, poursuivit celui-ci.
– Il faut le laisser marcher ! dit Ragastens. Et, s’adressant à voix basse à Orsini :
– Mon cher ami, tâchez de rallier autour de vous tout ce que vous pourrez et battez en retraite dans le défilé… Laissez-vous poursuivre par César jusqu’à Monteforte.
– Je ne comprends pas…
– Avez-vous confiance en moi ?
– Confiance illimitée…
– Faites donc ce que je vous dis… Moi… je vais préparer à monseigneur Borgia une petite surprise à ma façon…
Tandis que Giulio Orsini faisait sonner la retraite et s’enfonçait dans le défilé d’Enfer avec tout ce qui restait de troupes valides, Ragastens s’éloigna à fond de train du champ de bataille.
Une demi-heure plus tard, il commençait à grimper les pentes inaccessibles du plateau. Bientôt il fut obligé de mettre pied à terre. Mais Capitan le suivit, les naseaux en feu, hennissant… Au bout d’une heure de cette ascension, Ragastens se trouva sur le plateau. À ce moment, il vit l’arrière-garde de César s’enfoncer dans les gorges qui menaient à Monteforte.
Ragastens laissa souffler une minute Capitan. Aussi loin que
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