Borgia
cheveux hérissés de terreur, fou de fureur, il se rua dans l’escalier. Il parcourut en courant deux ou trois caves où régnait un demi-jour et, tout à coup, il aperçut Ragastens qui mettait le feu à une longue mèche de poudre.
La mèche commença à pétiller. Alors Ragastens se leva, sortit de la dernière cave et, machinalement, tira la grille de fer après lui. Il marcha sur la deuxième grille sans se hâter.
Tout à coup, il entendit un éclat de rire strident. La grille sur laquelle il marchait venait de se fermer violemment ! Ragastens se trouvait prisonnier dans la deuxième cave, entre deux portes grillées de fer !…
Derrière lui, dans la dernière cave pétillait la mèche qui allait mettre le feu à un amas de poudre énorme… Et il ne pouvait plus l’éteindre !… Devant lui, dans la première cave, par-delà la grille qui venait de se fermer, il vit une forme noire. C’était le moine ! C’était Garconio qui riait ! Il avait collé sa figure aux barreaux.
– Eh bien, démon ! gronda-t-il. Te voilà donc pris à ton piège !…
Ragastens haussa les épaules et tourna le dos.
– Meurs ! hurla le moine. Meurs désespéré !
Et Garconio se précipita au-dehors. Ragastens avait inutilement essayé de rouvrir la grille qui le séparait de la mèche. Cette grille qu’il avait tirée à lui était fermée par un crampon enfoncé dans le roc et il eût fallu une clef, maintenant, pour l’ouvrir !
La mèche se consumait lentement.
Ragastens calcula qu’il avait encore un peu plus d’une minute à vivre. Il se croisa les bras, s’assit dans un coin et, fermant les yeux, il évoqua de toutes les forces de son âme l’image qui était dans son cœur.
– Adieu, Primevère !… murmurait-il.
Tout à coup, il y eut dans l’escalier une dégringolade furieuse. Un homme apparut, un lourd marteau à la main.
– Spadacape ! tonna Ragastens en bondissant.
Spadacape ne répondit pas ; il assenait sur la serrure de la grille des coups capables de démolir une des portes de bronze du château Saint-Ange. Au troisième coup la grille sauta. Ragastens se jeta dans l’escalier.
Alors Spadacape saisit à pleine main une forme noire qui gisait sur le sol. Cette forme, c’était le moine Garconio. Il avait les mains et les pieds liés.
– Grâce ! hurla le moine en se tordant.
Spadacape, sans lui répondre, le traîna dans la cave, près de la grille de fer, derrière laquelle brûlait la mèche. Alors, à son tour, il se précipita dans l’escalier. En quelques bonds, il rejoignit le chevalier et tous les deux s’éloignèrent rapidement.
Ils n’avaient pas fait cinquante pas qu’une détonation plus formidable encore que les autres, retentit lugubrement. La masse des rochers vacilla pendant quelques secondes. Puis il y eut un éboulement fantastique, des pierres gigantesques fusèrent en l’air, parmi lesquelles Ragastens vit un instant la loque noircie et poudreuse d’un corps humain, puis tout retomba dans le défilé avec un effroyable fracas.
Lorsque la fumée et la poussière soulevées se furent dissipées, l’auberge avait disparu. Le Rocher de la Tête s’était éboulé, effondré, émietté… Et on ne voyait plus à cette place qu’une immense excavation béante d’où des milliers de reptiles s’enfuyaient effarés.
Alors, tandis que les débris de l’armée de César se sauvaient, éperdus de terreur, Ragastens, du haut d’un roc, se pencha sur le défilé. Parmi les fuyards, au loin, il aperçut César qu’il reconnut à son cheval noir et à son panache. Il eut un rire éclatant, un rire nerveux, irrésistible. La tension de nerfs qu’avait exigée l’étonnante manœuvre se résolvait dans ce rire…
À ce moment, comme si, malgré les clameurs, il l’eût entendu, César leva la tête. Il vit Ragastens. Son poing se tendit vers lui dans un geste de menace désespéré.
– Au revoir, monseigneur ! cria Ragastens de toute la force de ses poumons.
Mais déjà César, entraîné par le flot déchaîné des fuyards, disparaissait à un tournant du défilé d’Enfer. Ragastens se tourna vers Spadacape.
– Merci ! lui dit-il en lui tendant la main.
– Ah ! monsieur, l’affreuse bête que ce moine !
– Oui… sans toi, c’est moi qui sautais à sa place ! Mais tu l’avais donc vu ?
– Tout à fait par hasard. Comme vous m’aviez dit que vous vouliez seul mettre le feu aux mines que nous avions préparées, je
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