Borgia
la vue pouvait s’étendre, le plateau était désert. Alors, il se mit en selle et partit comme un ouragan dans la direction du Rocher de la Tête…
Le moine Garconio avait passé une nuit paisible sur son lit de mousse, en plein air. La rosée du matin le réveilla. Il se leva, se secoua et éclata de rire.
– César, avec ses renforts, a vingt mille hommes, dit-il à haute voix. Quelle déroute pour les alliés !… Ragastens, c’est aujourd’hui le grand jour de justice…
Le moine choisit un bon emplacement pour assister à la déroute des alliés et voir si Ragastens serait parmi les survivants. Il alla jusqu’à l’auberge du rocher de la Tête. Mais il ne s’y arrêta pas. Il alla un peu plus loin et trouva enfin une place commode d’où il pouvait voir admirablement tout ce qui se passerait dans le défilé.
À ce moment, la bataille était commencée, là-bas, au loin, et des bouffées de rumeurs en arrivaient jusqu’à Garconio. Cependant, les heures coulaient. Garconio avait apporté des provisions. Il se mit à manger tranquillement, sans cesser d’examiner le défilé.
Tout à coup, les rumeurs se rapprochèrent. Il se pencha. Des hommes, des soldats accouraient : ils appartenaient à l’armée des alliés ; c’étaient les premiers fuyards qui s’étaient jetés dans le défilé pour se réfugier à Monteforte. Puis, presque aussitôt, ce ne furent plus des hommes isolés : des troupes entières passèrent au pas de course…
– Qu’est-ce que j’avais dit ? hurla Garconio délirant de joie. Mais je ne vois pas de Ragastens ! Tout à l’heure, j’irai visiter le champ de bataille… et je le trouverai !…
Le défilé, maintenant, grouillait de monde. C’était comme une fourmilière humaine surprise par quelque catastrophe et fuyant, éperdue, sous les rayons du soleil impassible. Enfin, une troupe apparut, qui tenait bon encore, qui reculait lentement en bataillant.
La clameur qui montait de cette fournaise était formidable… Et ce fut alors la tête de colonne de l’armée de César qui se montra. Les troupes de Borgia s’avançaient en bon ordre, en rangs serrés.
– Monteforte sera pris tout à l’heure ! s’écria le moine.
Puis, haletant d’émotion :
– Ragastens n’y est pas !… Il est tombé là-bas !… Je vais voir !…
L’armée de César continuait à avancer. Maintenant elle était tout entière sous les yeux du moine qui, penché en avant, accroché à un rocher, trépignait et hurlait.
À ce moment, une épouvantable détonation se fit entendre dans la direction de Monteforte.
Le moine, en se penchant de ce côté, vit s’élever dans les airs une épaisse colonne de fumée, mélangée de pierres, de rochers énormes… Puis cela se dissipa. Et il entendit des hurlements, il vit un recul épouvanté de l’armée de César… La pluie de rochers retombait sur l’armée, écrasant des pelotons entiers…
– Qu’est cela ? murmura le moine en blêmissant.
Une seconde détonation retentit… mais plus rapprochée de Garconio. La même colonne de fumée s’éleva, la même pluie de pierres s’éboula, les mêmes hurlements, les mêmes gémissements éclatèrent… L’armée de César voulait reculer, ceux qui venaient par-derrière continuaient à avancer ; le désordre était indescriptible.
Le moine poussa un affreux juron. Puis il s’élança sur le plateau, en courant vers l’auberge. Alors, à cinq cents pas de lui, il vit un homme se pencher, allumer une mèche. Une troisième détonation ébranla la masse des rochers. En bas, la clameur fut effroyable… Cet homme massacrait à lui tout seul une armée entière…
Et Garconio, levant le poing au ciel, fit entendre un cri de malédiction. Il venait de reconnaître Ragastens…
Ragastens bondissait en se rapprochant de l’auberge. Une fois encore, il se baissa, un feu pétilla… une fois encore, l’explosion retentit !…
Semblable à un Titan, Ragastens émiettait une montagne pour écraser une armée !… Il bondit encore, et une cinquième explosion fit ébouler des pans énormes de rochers…
Le moine pétrifié, hagard, le regardait faire comme dans un cauchemar. Il le vit enfin se précipiter dans l’auberge. Alors, une sorte de délire l’affola. Lui aussi courut à l’auberge et, se jetant à l’intérieur par la porte où il avait vu entrer Ragastens, il se vit devant un escalier qui s’enfonçait dans le sol.
Et livide, les
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