Borgia
pieds de circonférence.
L’infortuné qu’on descendait dans cet abîme, au moyen d’une corde, ne pouvait s’asseoir ni se coucher : la place lui manquait. Et d’ailleurs, eût-il eu assez de place pour s’allonger qu’il lui eût été encore impossible de le faire. Dans ce puits, il y avait de l’eau. Le prisonnier en avait jusqu’à mi-jambe ; une eau putride, infecte, où on précipitait des reptiles, des crapauds, des rats énormes.
Lorsque le condamné était descendu dans ce puits, les crapauds, les reptiles, et surtout les rats, affamés, se jetaient sur le malheureux, soit pour chercher à satisfaire leur faim, soit pour trouver un abri contre l’eau.
C’était dans l’un des trois cachots du cinquième cercle que Ragastens avait été enchaîné, après avoir été transporté du Vatican jusqu’au château Saint-Ange par une voie souterraine plus large que le boyau connu du pape, de César et de Lucrèce seuls.
Lorsqu’on lui eut retiré son capuchon, il jeta autour de lui un regard rapide. Garconio, d’un geste, avait renvoyé tout son monde et sortit après avoir lancé au captif un dernier regard haineux.
– L’ennemi est en fuite ! murmura Ragastens quand il fut seul. Je crois bien que je suis perdu… Mais je ne leur donnerai pas la joie de mourir en gémissant…
Il était jeune pourtant, plein de vie exubérante. Il lui paraissait impossible d’échapper à la vengeance des Borgia. Et, malgré tout ce qu’il y avait d’horrible dans sa situation, il était plus loin du désespoir qu’au moment où il était sorti du tombeau de la Voie Appienne avec la conviction d’être à jamais séparé de Primevère.
Un étrange phénomène s’accomplissait dans cet esprit robuste et alerte. Il se trouvait délivré de Borgia !
Libre, il n’eût jamais pu devenir l’ennemi de cet homme qui, somme toute, ne lui avait donné que des marques d’une éclatante faveur. La reconnaissance l’enchaînait.
Mais, en le faisant arrêter sans motif avouable, César le dégageait. Cette captivité devenait une délivrance. Et il se disait maintenant que, si jamais il pouvait reconquérir sa liberté, il pourrait, sans scrupule, mettre sa vie au service de Primevère.
Cependant, les heures coulaient lentement. Ragastens essaya d’abord de desceller le crampon de fer encastré dans la pierre. Mais bientôt, il dut constater qu’avec un outil solide, il lui faudrait plusieurs jours pour y arriver.
Alors, il tenta de briser les cadenas de ses poignets en les cognant violemment l’un contre l’autre : il ne parvint qu’à se meurtrir.
Enfin, il s’arc-bouta sur les chaînes, dans l’espoir que quelque maillon usé se romprait… Mais tout fut inutile. Il s’assit contre le mur et mangea machinalement un morceau de pain. Puis, peu à peu, la fatigue l’emporta sur l’inquiétude : il s’endormit.
Il fut soudain réveillé par le bruit des verrous que l’on tirait. Son cachot s’éclaira.
Deux gardes entrèrent, tenant chacun une torche. Derrière eux, quatre arquebusiers pénétrèrent dans la cellule. Puis, enfin, trois hommes, la tête couverte de cagoules, se placèrent devant lui. Dans le couloir Ragastens entrevit des piques, des hallebardes… une vingtaine de soldats prêts à se ruer sur lui au premier signe.
L’un des trois hommes à cagoule s’avança d’un pas, tandis qu’un autre s’apprêta à écrire.
– Vous êtes bien le chevalier de Ragastens ? demanda l’homme.
– Oui, monsieur… et vous ?…
– Je suis le juge du tribunal suprême, rendant arrêts sans appel au nom de la justice pontificale et de la justice divine dont elle émane. Accusé, vous êtes venu en Italie pour fomenter la trahison contre notre Saint-Père et son auguste famille.
– Je suis venu en Italie pour mettre au service du prince Borgia une épée loyale, répondit Ragastens.
– Des témoins prouvent que vos intentions étaient loin du but que vous avouez… Mais nous ne voulons pas scruter vos pensées… Nous ne retiendrons contre vous que le grief d’assassinat…
– D’assassinat ? fit Ragastens, plus étonné qu’ému.
– Vous avez, par surprise, lâcheté et félonie, poignardé monseigneur François Borgia, duc de Gandie…
Ragastens, un moment étourdi par cette accusation imprévue, haussa les épaules.
– Répondez à l’accusation portée contre vous… Vous vous taisez…
– Je me tais parce que cette accusation est absurde.
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