Borgia
Ragastens.
– Je me hâte d’ajouter que cet enlèvement ne souffrira pas de grandes difficultés de la part de celui-là même qu’il s’agit d’amener à Rome… Cet homme, au fond, ne demanderait pas mieux que de se soumettre… mais il est prisonnier de ses amis…
– Je comprends, Saint-Père. Il est votre ennemi tout en ne demandant qu’à devenir votre ami…
– Vous m’avez compris, chevalier ! reprit le pape… Eh bien… consentez-vous à ce que je vous demande ?…
– Il me semble, Saint-Père, que cette expédition n’offrira pas de bien gros dangers… J’eusse préféré une occasion de m’exposer réellement…
– Rassurez-vous, chevalier… L’expédition est des plus périlleuses… Elle exige autant de souplesse que d’intrépidité, autant de sang-froid que de bravoure… Elle demande le secret le plus absolu… L’homme qui l’accomplira devra agir seul… il faudra qu’il allie la prudence d’un diplomate au courage aveugle d’un soldat de métier… Vous avez les qualités requises, chevalier… Je crois sincèrement que seul, vous pouvez mener à bien cette entreprise… Songez qu’il s’agit d’entrer seul dans une place forte bien défendue, de manœuvrer parmi de redoutables ennemis, de vous emparer par force ou persuasion du chef de la garnison, de l’amener ici… enfin, de risquer cent fois votre vie !…
Le visage de Ragastens s’éclaira. On lui offrait la bataille. Il entrevoyait une de ces aventures formidables que son audace embellissait de cette âpre poésie spéciale du danger. Il se sentit renaître.
– Quand faut-il partir ? demanda-t-il.
– Tout de suite !… Pendant ce temps, César rassemble son armée et la citadelle de Monteforte, privée de son chef, se rend à notre merci…
– Monteforte ! répéta Ragastens en devenant livide…
– Oui ! C’est là que vous allez vous rendre. L’homme dont il faut vous emparer, c’est le comte Alma !…
– Le père de Béatrix ! murmura d’une voix inintelligible le chevalier.
Ses rêves s’écroulaient. Le cauchemar le reprenait, l’atroce dilemme qu’il avait voulu fuir ! Il eût reçu un coup de poignard qu’il ne fût pas devenu plus pâle…
– Qu’avez-vous, chevalier ? s’écria César…
– Le comte Alma !… La citadelle de Monteforte !… balbutia le jeune homme.
– Oui ! fit durement César. Qu’y a-t-il là pour vous surprendre ?
– Jamais !… jamais !…
– Que dites-vous ?
– Je dis que jamais je n’entreprendrai quoi que ce soit contre le comte Alma et la citadelle de Monteforte…
– La raison ? fit César, les yeux pleins de menaces.
– Saint-Père, éclata-t-il dans son désespoir, et vous monseigneur, écoutez-moi !… Demandez-moi ma vie… Demandez-moi d’aller combattre seul contre vos ennemis… Je suis prêt à tout… Mais contre Alma, contre Monteforte… jamais !… C’est impossible !…
– La raison ? redemanda César ivre de fureur, pendant que le pape, s’étant levé, soulevait une portière et faisait à quelqu’un un signe mystérieux.
– La raison ! s’écria le malheureux jeune homme, c’est que j’aime comme un fou… j’aime comme un insensé… j’aime à en mourir… j’aime, à préférer une mort affreuse à la seule pensée de mériter son mépris ou sa haine…
– Tu aimes !… Qui ?… Mais qui donc ?
– La fille du comte Alma !… Béatrix… Primevère.
César poussa un rugissement qui n’avait rien d’humain. Il arracha son poignard. Il se rua sur le chevalier qui, d’un bond, se mit en garde.
Mais Alexandre VI se jeta sur son fils. Ce vieillard qui, l’instant d’avant, parlait de sa mort prochaine avec toutes les apparences de la vérité, saisit le poignet de César, le maintint comme dans un étau de fer.
– Tu es fou, César ! prononça-t-il en espagnol. Laisse-moi faire…
César Borgia recula.
– Chevalier, fit le pape avec une étrange douceur, pardonnez à mon fils… Il est violent, il vous le disait lui-même. Mais je suis sûr qu’il regrette déjà le mouvement de colère aveugle auquel il vient de se livrer…
– Monseigneur est libre de ses mouvements, dit Ragastens froidement, toute sa raison reconquise devant le danger.
– Et vous, chevalier, vous êtes libre de vos sentiments, reprit le pape avec la même douceur… la mission que je voulais vous confier ne vous plaît pas ?… Soit !… Seulement, vous
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