Borgia
ramassé sur lui-même, attendit, le bras droit en arrêt, tandis que, de la main gauche, il cherchait vainement à se débarrasser du capuchon.
Garconio, maintenant, était blême de rage. Silencieusement, il rangea ses hommes en demi-cercle autour de Ragastens, acculé à son encoignure.
Deux d’entre eux portaient des cordes. Ils étaient une quinzaine, se regardant, effarés, terrifiés.
Le moine, tout à coup, fit un signe. Les assaillants se ruèrent en masse. Ce fut épouvantable.
La lutte enragée, acharnée, silencieuse, – d’un silence entrecoupé de râles brefs, d’imprécations sourdes, de malédictions étouffées – dura une minute. À chaque instant, le bras de Ragastens se levait.
Et le poignard retombait, s’enfonçait dans une poitrine, dans une épaule, dans un bras, au hasard, au jugé… Il frappait dans cette masse qui grouillait, tourbillonnait autour de lui…
Brusquement, il s’abattit. Garconio était parvenu à lui passer la corde autour des jambes. Ce fut fini.
L’instant d’après, Ragastens désarmé, ligoté, était emporté…
Ragastens, la tête toujours couverte de l’épais capuchon, sentit qu’on descendait des escaliers, puis qu’on longeait des couloirs multiples, qu’on descendait encore, puis encore… Il entendit enfin qu’on ouvrait une porte. Un froid glacial s’abattit sur les épaules du chevalier. Brusquement, il fut déposé sur le sol.
Il sentit que ses poignets et ses chevilles étaient enserrés dans des anneaux. Il entendit des grincements de clefs comme si on eût fermé des cadenas sur chacun de ses membres. Alors, la même voix ordonna :
– Enlevez-lui son capuchon.
Ragastens, un instant ébloui par la lumière d’une torche qui brûlait près de lui, se vit dans un étroit caveau. Il constata qu’il était enchaîné par quatre chaînes rivées par un bout à la muraille contre laquelle il se trouvait placé et venant aboutir par l’autre à des anneaux fermés au moyen de solides cadenas.
Le caveau était très haut de plafond. Les murs noirs, gluants, se plaquaient de salpêtre… Et le long des pierres de taille couraient d’immondes animaux, de monstrueuses araignées qu’effarait la lueur de la torche.
Le sol était de terre battue. Des flaques d’eau croupie y stagnaient et exhalaient d’insupportables odeurs. Il n’y avait ni banc pour s’asseoir, ni paille pour se coucher.
Les chaînes des pieds étaient juste assez longues pour permettre au prisonnier de faire deux pas en avant ; les chaînes des poignets lui laissaient la faculté de mouvoir ses bras, de les croiser, de se servir de ses mains.
Près de lui, une cruche recouverte d’osier contenait de l’eau. Sur la cruche, il y avait un pain.
Il y avait, au château Saint-Ange, six rangées de prisons superposées : une au premier étage, une au rez-de-chaussée, les quatre autres dans les sous-sols.
Chaque rangée comprenait un nombre décroissant de cellules. Alors qu’il y en avait douze au premier étage, il n’y en avait plus qu’une au dernier sous-sol. En sorte que ces prisons superposées formaient une sorte de pyramide renversée, dont le sommet s’enfonçait dans les entrailles de la terre.
César Borgia appelait ces différents étages : les six cercles de l’enfer.
Les cellules du premier étage étaient réservées aux officiers du château qui étaient mis aux arrêts, ou aux seigneurs romains qui avaient commis quelque peccadille. C’était le premier cercle.
Le deuxième cercle, c’était le rez-de-chaussée : il comprenait des prisons ordinaires pour les soldats de la garnison.
À partir de là, on s’enfonçait dans les sous-sols. On y trouvait d’abord une rangée de cellules suffisamment éclairées et aérées par des soupiraux munis de barres de fer : c’était le troisième cercle, destiné aux voleurs et assassins.
On descendait un étage et on arrivait au quatrième cercle : cinq ou six cellules sans chaîne, avec un banc pour s’asseoir, de la paille pour dormir. On y mettait les condamnés à mort.
Un étage encore et on arrivait au cinquième cercle : trois cellules semblables à celle que nous avons décrite. Là étaient enfermés les accusés, réputés dangereux, et qu’on allait faire passer en jugement.
Enfin, le sixième et dernier cercle se composait d’une unique cellule. Située à quatre étages au-dessous du rez-de-chaussée, elle formait une espèce de puits noir ayant quelques
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