Borgia
Sans quoi, nous étions perdus…
Il tourna la tête vers la ville et vit que les soldats avaient achevé de fermer la porte. Au loin, le tocsin grondait toujours.
– Hurle, César ! clama Ragastens enivré de sa liberté, enivré de sa course fantastique. Hurlez, Borgia mâles et femelles ! C’est ma liberté, c’est mon allégresse que célèbrent vos gueules d’airain !
En effet, seul un Borgia pouvait avoir donné l’ordre de sonner le tocsin. Et ce tocsin ne pouvait avoir d’autre but que de le signaler et de le faire arrêter !
Ragastens tourna encore la tête. Mais il s’aperçut alors qu’il était poursuivi. Un cavalier courait derrière lui, ventre à terre.
Ayant constaté qu’il n’avait affaire qu’à un seul ennemi, Ragastens haussa les épaules et sourit. Ce sourire était un poème de force et de confiance. Comme il arrivait près d’un ruisseau, il arrêta le galop de son cheval, sauta à terre et, ayant puisé de l’eau dans le creux de sa main, se mit à rafraîchir la blessure d’éperon qu’il avait faite aux flancs de son Capitan !…
XXVI – SPADACAPPA
Cependant, Ragastens surveillait de l’œil l’ennemi qui approchait rapidement, maintenant qu’il n’était plus tenu à distance par le galop de Capitan. Bientôt, ce cavalier atteignit Ragastens. C’était l’homme qui l’avait si humblement salué quand le tocsin s’était mis à sonner.
Ragastens se tenait sur la défensive, la main sur la garde de son épée. Mais, à sa grande surprise, l’homme mit pied à terre et s’approcha de lui en exécutant à chaque pas une profonde révérence. Le chevalier remarqua que l’homme ne portait pas l’épée.
– Holà, l’ami ! fit-il, est-ce à moi que vous en voulez ?…
– Monseigneur, votre humble valet, pour vous servir !
– Que voulez-vous ?… fit Ragastens.
– Un instant d’entretien… si votre Seigneurie veut bien.
– Qu’est-ce que cette figure-là ? pensa Ragastens. Un sbire ? Un brave ? Un espion ?… Vous avez quelque chose à me dire ? ajouta-t-il à haute voix.
– Une proposition à vous soumettre, Excellence…
– D’abord, mon brave, fais-moi le plaisir de mettre de côté tes seigneuries, tes excellences, tes monseigneurs. Tu as la politesse agaçante…
– Monsieur le chevalier… je vous appelle ainsi pour vous obéir…
– Comment sais-tu que je suis chevalier ? fit Ragastens, devenu encore plus soupçonneux.
– C’est bien simple. Je sais même votre nom. Je vous connais. Qui ne vous connaît pas dans Rome ?… On n’y parle que de vos prouesses, de la façon dont vous avez arrangé l’illustre baron Astorre, de votre entrée triomphante au Palais-Riant. Dame… les laquais ont jasé ! Et puis, surtout, le jour où nous devions vous tuer…
– Ah ! ah ! voilà de la franchise !
– Mon Dieu, monsieur le chevalier, on fait ce qu’on peut… Nous étions payés par Garconio pour crier que vous étiez l’assassin du duc de Gandie… et pour vous dépêcher quelque bon coup de stylet entre les omoplates…
– Peste, mon brave ! Tu es un jovial compagnon…
– Oui ! Mais voilà que vous saisissez le Garconio par la peau du cou et que vous nous l’envoyez par la figure comme un pruneau pourri qu’on jette… Quel coup, par Hercule, quel coup, monseigneur…
– Encore !…
– Pardon, j’obéis, monsieur le chevalier. J’ai donc été l’un de ceux qui ont été écrasés par la chute du moine… Bref, lorsque j’ai vu cela, lorsque je vous ai vu sauter par-dessus nos poignards, j’ai conçu pour vous… comment vous dirais-je… une admiration…
– Tu me flattes, vraiment !
– Oui ; j’ose dire une admiration passionnée. Et alors, je me suis dit que si je pouvais entrer au service d’un seigneur tel que vous, ce serait pour moi un honneur…
– Comment t’appelle-t-on, mon brave ?
– Mes camarades m’appellent Spadacappa.
– Épée et cape ! Un juron de bandit. Ce n’est pas un nom d’homme, cela !
– Tel quel, c’est mon unique nom !
– Va pour Spadacape ! Eh bien, Spadacape, mon ami, tu vois cette route ? Moi, je vais par là, au Sud. Toi, tu vas t’en aller par là, au nord ; et je t’engage à disparaître au plus tôt si tu ne veux faire connaissance avec le rotin que je taillerai tout exprès à cet arbre pour en honorer ton échine…
Spadacappa – ou Spadacape comme l’appelait Ragastens en francisant le mot,
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