Borgia
homme est un traître, se dit-il, je suis perdu… Mais je n’avais pas le choix ! Ah !… voici nos gens !…
En effet, une troupe débouchait à ce moment, à fond de train, du bouquet de chênes-liège qu’elle venait de franchir en tourbillon. Elle se composait d’une cinquantaine de cavaliers à la tête desquels galopait un officier.
Spadacape, marchant tranquillement au pas, s’avançait à leur rencontre en tenant le bas-côté de la route.
– Halte ! commanda l’officier en l’apercevant. Holà ! l’homme, d’où venez-vous ?
– De Naples, Votre Seigneurie… Et je vais à Rome pour y accomplir un vœu.
– Avez-vous rencontré un cavalier ayant l’air de fuir ?…
– Un cavalier ? Certes, Votre Seigneurie ! Je lui ai même parlé.
– Ah ! ah !… Qu’a-t-il dit ?
– Il m’a demandé s’il était bien sur la route de Naples, et lorsque je lui ai répondu que oui, il s’est remis à galoper comme s’il eût à ses trousses une légion de diables d’enfer…
– Nous le tenons !… Et dites-moi, quelle avance pensez-vous qu’il ait sur nous ?
– Une heure à peine… Mais si vous voulez m’en croire, cette heure sera fortement diminuée… Quand vous aurez galopé une demi-heure environ, vous trouverez deux routes devant vous. L’une à droite qui fait un long crochet… c’est la route qu’a prise celui que vous poursuivez ; l’autre à gauche, qui coupe au plus court… prenez-la et vous gagnerez plus d’une demi-heure.
– En avant ! hurla l’officier. Il est à nous !… Brave homme, venez demain me demander au château Saint-Ange où je serai de garde, et vous serez récompensé…
La troupe s’élança dans un galop furieux. Au bout de quelques minutes, l’épais nuage qu’elle soulevait disparut au loin sur la route de Naples. Alors, Spadacape ouvrit la chapelle. Ragastens en sortit et sauta en selle.
– Eh bien, monsieur le chevalier, vous avez vu ? Vous avez entendu ?…
– Rien !… Je parlais à saint Pancrace, le patron de cette église, fit Ragastens avec un sourire.
– Ah ! fit Spadacape étourdi de stupéfaction… Et il vous a répondu ?…
– Oui : il m’a dit qu’il te faisait rémission de tous tes péchés passés.
XXVII – L’AUBERGE DE LA FOURCHE
Ragastens s’enfonça dans le sentier que lui avait indiqué Spadacape. Pendant deux heures, il trotta silencieusement, se retournant de temps à autre pour interroger son compagnon – ou, si l’on veut, son écuyer – sur le chemin qu’il fallait prendre.
Vers midi, ils se trouvaient au nord de la Ville Éternelle après en être sortis par le sud. La faim commençait à talonner Ragastens. Il appela Spadacape.
– Comment fais-tu pour déjeuner, lui demanda-t-il, lorsque tu n’as rien à manger et pas d’argent pour aller à l’auberge ?
L’écuyer tendit le bras vers quelques arbres qui dressaient au milieu des champs leurs branches tordues et couvertes de larges feuilles dentelées.
– Des figuiers ! dit-il simplement.
– Des figues ! De quoi se rafraîchir et apaiser l’appétit tout ensemble !
– Seulement, elles ne sont pas tout à fait mûres…
– Bah ! Qu’importe… Courons-y…
En arrivant sous les figuiers, Spadacape s’apprêta à grimper dans l’un d’eux.
– Laisse ! fit Ragastens. Cela me rappellera le temps où j’allais dénicher des pies dans les bois de Montrouge, et des merles dans les bois de Montmartre…
Et, sautant à terre, il se mit lestement à grimper. Mais, parvenu aux hautes branches, il fit la grimace : non seulement les figues n’étaient pas tout à fait mûres, mais elles ne l’étaient pas du tout.
– Triste déjeuner ! murmura-t-il. Je regrette le pain et l’eau que monseigneur César me faisait octroyer.
Ragastens cueillit les figues quand même. Il les lança, au fur et à mesure, à Spadacape. Tout à coup, celui-ci jeta un cri perçant.
– Les figues ! s’écria l’écuyer en levant vers le chevalier un visage bouleversé de surprise.
– Eh bien, quoi ? les figues ?…
– Eh bien ! Elles sont en or !…
– Ça ! Deviens-tu insensé ?…
– Voyez vous-même ! Voici la dernière que vous m’avez envoyée…
Et Spadacape, tendant le bras, remit au chevalier un beau ducat d’or qui brillait au soleil.
– Curieux ! Curieux ! s’étonna Ragastens.
– Encore une !… Et encore une !… C’est toute une pluie ! vociféra à ce
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